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Libération
Récit

Les parents entre tourment et soulagement

Pour certaines familles, le retour à l’école est vécu comme une chance, d’autres craignent une stigmatisation, voire une mise en danger.
(Dessin Aimée, Paris)
publié le 15 mai 2020 à 20h56

Nul besoin de peser le pour et le contre pour July. Cette mère de deux enfants scolarisés en CE1 et CM1 dans un regroupement scolaire de Souvigny-en-Sologne (Loir-et-Cher) vit sereinement leur retour à l'école. Le plus grand, Aël, y va un jour et demi par semaine, son petit frère deux jours. La rentrée s'est faite le sourire aux lèvres. «Même si après deux mois de confinement ça leur a fait bizarre, ils étaient contents, surtout de revoir les copains. C'est la distanciation sociale qui a été la plus dure pour les deux. Avant la reprise, Aël n'a pas arrêté de demander : "Comment je vais faire en récréation ?"»

Dans l'école du cadet, la solution des carrés au sol, dans lesquels chaque enfant est cantonné, a été retenue. «Je trouve ça un peu glauque mais ça n'a pas semblé le perturber, dit-elle soulagée. Je suis contente car ils n'ont pas l'accès au numérique comme peuvent l'avoir leurs copains. C'était un peu démotivant pour eux, ça devenait difficile ces dernières semaines. Ils avaient aussi envie de retrouver une vie sociale, de ne pas voir que la maison, papa, maman et leur frère.» Les institutrices ont aidé à préparer en amont la reprise. «J'avais des rendez-vous téléphoniques avec elles pour m'expliquer le protocole sanitaire. J'ai trouvé ça très rassurant.»

«Confiance»

Morgane, 32 ans, mère de deux enfants scolarisés à Metz (Moselle), Simon en grande section et Flavie en CE1, est aussi très zen. «La décision de remettre les enfants à l'école a été très naturelle. On a une grande confiance dans l'équipe pédagogique. Avant la rentrée, on leur a bien expliqué les gestes barrières.» Simon retourne à l'école tous les jours mais sa sœur seulement une fois par semaine.

Sur les quinze places, treize sont destinées aux enfants «prioritaires». Les deux restantes ont été attribuées par l'institutrice à quatre groupes de deux élèves qui viennent en classe à tour de rôle. «Ils étaient ravis de rentrer ce midi, même le petit en maternelle, où je me disais que ça allait être plus dur sans les contacts.» Au programme : flashmob filmé pour les copains restés à la maison pour le petit, et challenge gestes barrières pour l'aînée «où les enfants gagnent des points s'ils suivent particulièrement bien les consignes».

La priorité donnée aux enfants en difficulté scolaire est, par endroits, mal perçue par des parents. Certains ont l'impression qu'on fait prendre des risques aux enfants défavorisés en leur demandant de retourner les premiers à l'école. Christelle, mère de deux enfants en CM2 et en CAP hôtellerie-restauration à Harnes (Pas-de-Calais), tonne : «Ma petite n'est pas un cobaye, je n'ai pas envie de prendre de risques. Retourner à l'école avec le virus l'inquiète. Elle est plus rassurée à la maison. Même si ça devient obligatoire, je préfère attendre septembre.»

«Mis à l’écart»

Son fils, en revanche, reprendra le chemin du lycée la semaine prochaine. «Comme il passe son diplôme cette année, il n'y a pas le choix. Mais à 18 ans, il sait ce qu'il doit faire.» En tout état de cause, Christelle proteste contre les tris opérés entre enfants. «Tous les enfants ont besoin d'apprendre. On ne peut pas se permettre de faire de différences par classe sociale. Ça peut blesser enfants comme parents.» Nadira, mère de six enfants scolarisés dans la même ville, abonde : «C'est stigmatisant. Les enfants en ont assez à subir comme ça, ce n'est pas la peine - en plus - de les cataloguer.»

Comme pour les enfants de personnels hospitaliers. Sollicité par plusieurs soignants dont les enfants avaient été «mis à l'écart dans des groupes distincts des autres élèves» ou «affectés dans des établissements scolaires accueillant exclusivement des enfants du personnel soignant», le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a demandé vendredi une «intervention» du ministère de l'Education nationale.

Lucie (1), infirmière à Nantes, a failli faire une syncope en lisant le compte rendu du conseil d'école. A la question d'un parent : «Comment faire si on doit reprendre le travail et que notre enfant n'est pas censé être accueilli à l'école ?», le directeur a répondu : «Il faut faire jouer l'entraide entre les familles. Cette option serait d'ailleurs moins risquée que celle de revenir à l'école au contact d'enfants de personnels soignants.» Lucie : «Sympa, non ? Je m'inquiète du jour où ma fille va rentrer de l'école en pleurant parce que les autres l'auront rejetée. Des rumeurs infondées circulent, mais que le directeur les colporte…»

(1) Le prénom a été changé.