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Affaire Ramadan : le théologien s'en prend à la justice française

Mis en examen pour cinq affaires de viols en France et en Suisse, Tariq Ramadan change d'avocats et en appelle à la garde des Sceaux.
Tariq Ramadan au palais de justice de Paris, le 13 février. (Photo Thomas Samson. AFP)
publié le 17 mai 2020 à 18h53

Changement d'avocats, pétition et guerre de tranchées sur les réseaux sociaux, l'intellectuel suisse Tariq Ramadan a intensifié, ces dernières semaines, sa défense. Sous le coup de cinq mises en examen pour des viols en France et en Suisse, le théologien qui réfute ses accusations sera désormais assisté par deux avocats, spécialistes des discriminations, Me Nabila Asmane et Me Ouadie Elhamamouchi, installés en Seine-Saint-Denis.

Au site marocain Yalibadi, Me Elahmamouchi a déclaré que le théologien n'avait pas bénéficié «du même traitement médiatique que Gérald Darmanin, Nicolas Hulot, Luc Besson…» sans se prononcer toutefois sur d'éventuels motifs islamophobes concernant Tariq Ramadan.

Climat délétère

Depuis février 2018, l'intellectuel suisse était défendu par un ténor du barreau parisien, Me Emmanuel Marsigny, très offensif dans les médias. Pour le moment, le théologien n'a pas expliqué ses nouveaux choix. Toutefois, sa ligne de défense semble de plus en plus axée sur la question de l'islamophobie, Ramadan estimant subir un acharnement raciste de la part de la justice française.

Fin avril, une pétition adressée à la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, demandait l’arrêt des poursuites contre le théologien, mettant en cause les magistrats en charge de l’affaire. L’appel a été signé par des universitaires internationalement reconnus tels que le philosophe canadien Charles Taylor ou l’islamologue américain John Esposito et des activistes comme la française Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des indigènes de la République (PIR).

Quoi qu’il en soit, l’affaire Ramadan a créé un climat délétère, suscitant une grande violence sur les réseaux sociaux. Les quelques déclarations de l’intellectuel appelant au calme, notamment à sa sortie de détention provisoire en novembre 2018, n’ont guère été suivies d’effet. Les plaignantes continuent à subir insultes et menaces, de même que les avocats impliqués dans le dossier.

Cibles

Dans la périphérie de Rouen (Seine-Maritime), Henda Ayari, la première femme à avoir porté plainte contre le prédicateur a, d'après son témoignage, été insultée et agressée le 6 mai à la sortie d'une grande surface. «Un véhicule à vive allure est arrivé dans ma direction, j'ai cru qu'il allait m'écraser», raconte la quadragénaire dans le procès-verbal du dépôt de sa plainte que Libération a pu consulter.

Une fois arrivé à sa hauteur, l'individu l'aurait menacée en lui disant : «Tu crois que je ne t'ai pas reconnue grosse pute […] Je vais te régler ton compte.» Interpellé et placé en garde en vue le lendemain, l'agresseur a écopé d'un rappel à la loi. «Cela fait deux ans et demi que ma cliente est prise à partie physiquement, déclare à Libération Me Jonas Haddad, l'un des avocats de Henda Ayari. Le harcèlement ne se cantonne pas aux réseaux sociaux.»

Auteur d'une biographie (Tariq Ramadan, histoire d'une imposture) publiée en janvier, le journaliste Ian Hamel est, en ce moment, l'une des cibles favorites des supporteurs de Tariq Ramadan. Il est très violemment attaqué dans un post de blog diffusé le 7 mai par Mediapart. «Ian Hamel n'est ni journaliste ni un informateur, il ment délibérément et apparaît dans le dossier Tariq Ramadan, entre autres, comme un instigateur», écrit l'auteur blog qui se retranche derrière le pseudonyme de Marianne France.

Chroniques de confinement

Correspondant du Point en Suisse, le journaliste a écrit de nombreux articles sur la famille Ramadan qui bénéficie toujours d'importants réseaux à Genève. Les avocats de l'hebdomadaire, selon les informations recueillies par Libération, ont demandé à Mediapart de retirer le texte.

Dans le volet judiciaire, le dossier est toujours en cours d'instruction en ce qui concerne les accusations de viol et les mises en examen dont Tariq Ramadan fait l'objet. Cependant, le prédicateur est convoqué le 24 juin au tribunal judiciaire de Paris, à la demande du parquet. Dans son livre Devoir de vérité, publié le 11 septembre, il cite à 84 reprises le véritable nom de «Christelle», la deuxième plaignante, ce qui ne peut être fait sans l'accord écrit de la victime, selon la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.

Pour sa part, le théologien, placé sous contrôle judiciaire assorti d’une interdiction à quitter le territoire français, est demeuré actif sur les réseaux sociaux. Pendant la pandémie du Covid-19, installé en Seine-Saint-Denis, il a notamment tenu des chroniques de confinement. Son réseau habituel de mosquées, souvent liées à Musulmans de France (l’ex-UOIF), la branche française des Frères musulmans a cessé de l’inviter à donner des conférences. A part quelques rares personnalités comme l’islamologue François Burgat, l’intellectuel suisse a perdu l’essentiel de ses soutiens.