Changement de défenseurs, pétition et guerre de tranchées sur les réseaux sociaux : ces dernières semaines, Tariq Ramadan a intensifié sa défense. Sous le coup de cinq mises en examen pour des viols en France et en Suisse, le théologien, qui réfute ces accusations, sera désormais assisté par deux avocats, spécialistes des discriminations, Me Nabila Asmane et Me Ouadie Elhamamouchi, installés en Seine-Saint-Denis. Sa ligne de défense semble de plus en plus axée sur la question de l'islamophobie, Ramadan estimant subir un acharnement raciste de la part de la justice française. Fin avril, une pétition, signée notamment par des universitaires internationalement reconnus, adressée à la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, demandait l'arrêt des poursuites, mettant en cause les magistrats en charge de l'affaire.
Les quelques déclarations de Ramadan appelant au calme, notamment à sa sortie de détention provisoire en novembre 2018, n'ont guère été suivies d'effet. Les plaignantes continuent à subir insultes et menaces, de même que les avocats impliqués dans le dossier. Dans la périphérie de Rouen, Henda Ayari, la première à avoir porté plainte contre le prédicateur a, d'après son témoignage, été insultée et agressée le 6 mai à la sortie d'une grande surface. «Un véhicule est arrivé dans ma direction à vive allure, j'ai cru qu'il allait m'écraser », raconte la quadragénaire dans le procès-verbal du dépôt de sa plainte que Libération a pu consulter. Le conducteur l'aurait menacée en lui disant : «Tu crois que je ne t'ai pas reconnue grosse pute. […] Je vais te régler ton compte.» Il a écopé d'un rappel à la loi. «Cela fait deux ans et demi que ma cliente est prise à partie physiquement», déclare à Libération Me Jonas Haddad, l'un des avocats de Henda Ayari.
Auteur d'une biographie (Tariq Ramadan, histoire d'une imposture) publiée en janvier, le journaliste Ian Hamel est, en ce moment, l'une des cibles favorites des supporteurs de Ramadan. Il est très violemment attaqué dans un post de blog diffusé le 7 mai par Mediapart. «Ian Hamel n'est ni journaliste ni un informateur, il ment délibérément et apparaît dans le dossier Tariq Ramadan, entre autres, comme un instigateur», écrit l'auteur qui se retranche derrière le pseudonyme de Marianne France.
Dans le volet judiciaire, le dossier est toujours en cours d'instruction en ce qui concerne les accusations de viol et les mises en examen dont Tariq Ramadan fait l'objet. Le prédicateur est convoqué le 24 juin au tribunal judiciaire de Paris, à la demande du parquet. Dans son livre Devoir de vérité, publié le 11 septembre, il cite à 84 reprises le véritable nom de «Christelle», la deuxième plaignante, ce qui ne peut être fait sans l'accord écrit de la victime. Le théologien, sous contrôle judiciaire assorti d'une interdiction de quitter le territoire français, est demeuré actif sur les réseaux sociaux. Pendant la pandémie, installé en Seine-Saint-Denis, il a notamment tenu des chroniques de confinement. Son réseau habituel de mosquées, souvent liées à Musulmans de France (l'ex-UOIF), la branche française des Frères musulmans a cessé de l'inviter à donner des conférences. A part quelques rares personnalités comme l'islamologue François Burgat, l'intellectuel suisse a perdu l'essentiel de ses soutiens.