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Interview

Isabelle Saporta : «Le second tour des municipales se jouera sans moi»

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
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Soutien de Cédric Villani dans la course à la mairie de Paris, la journaliste jette l'éponge un an après avoir fait une entrée remarquée dans la vie politique.
(Photo Fred Kihn pour Libération)
publié le 22 mai 2020 à 17h49

Elle était arrivée en politique par surprise. C'était l'été dernier. Isabelle Saporta a rejoint Gaspard Gantzer, l'ex-conseiller de François Hollande, pour se lancer à la conquête de Paris. En cours de route, elle a quitté le communicant qui ne décollait pas dans les sondages pour se ranger derrière le marcheur récalcitrant Cédric Villani. Aujourd'hui, elle décide de prendre du recul après l'annonce du gouvernement de jouer le second tour des municipales le 28 juin. Une «décision incompréhensible», dit-elle. L'ancienne chroniqueuse radio et toujours éditrice décide de prendre ses distances avec le monde politique qui «privilégie son intérêt au lieu de l'intérêt général».

Le second tour des municipales se jouera le dimanche 28 juin. C’est une bonne chose ?

C’est un déni démocratique. Nous sommes en plein séisme avec cette épidémie, séisme sanitaire, économique et politique. Chacun d’entre nous a eu peur pour les siens. Pour ses anciens, pour ses enfants qu’il a remis ou non à l’école. Chacun d’entre nous a peur pour son travail. Et pour l’avenir de la France. Saura-t-elle se projeter dans autre chose ? Comment transformer ce sentiment de déclassement que nous ressentons tous, en force positive, créatrice d’un avenir meilleur ? Et que proposent les professionnels de la politique dans ce moment charnière ? Tadam ! Le second tour des municipales ! Tous les sortants, les barons locaux, qui soi-disant œuvrent pour la démocratie ne pensent qu’à une chose : conserver leur strapontin à n’importe quel prix.

C’était quoi la meilleure solution ?

C’est le moment ou jamais pour retrouver l’esprit de l’agora. Travailler ensemble, quelles que soient nos divergences, pour que notre pays se relève, pour que nos villes, trop denses, se pensent sur un autre modèle. Un modèle capable de faire face aux futures épidémies, aux changements climatiques. Un modèle qui cesse d’opposer toujours plus la France des villes et celles des campagnes. Celles des banlieues, et celle des mégalopoles. Mais pour cela il faut prendre le temps de le penser ce monde d’après, de le construire ensemble, plutôt que de se lancer dans un sauve-qui-peut court-termiste qui ne fera qu’une chose : achever de dégoûter nos concitoyens de la politique. Préserver l’entre soi hors sol d’une caste.

Pourquoi cette colère ?

Qui pense aux gens qui ont tenu nos caisses ? Ramassé nos poubelles ? Ceux qu’on ne regarde jamais dans la rue, qui ont pris les transports en commun sans masque en pleine épidémie ? Le soir, ils retournaient en banlieue alors que les hôtels de la capitale étaient vides. On n’aurait pas pu les héberger ? Mieux vaut ne surtout pas se poser la question de toutes ces personnes qui font vivre Paris mais qu’on rejette tous les soirs en banlieues. En Seine-Saint-Denis, par exemple, qui a été si durement touchée par le Covid. Mais qui s’en préoccupe de leurs allers et retours dans le RER ? Personne. On leur dit juste de pas reprendre leur voiture pour ne pas polluer ceux qui vivent à Paris. Plus d’un million de Franciliens ont quitté la grande ville pour rejoindre la France de la diagonale du vide, celle des gilets jaunes, celle qu’ils méprisaient parfois. Pourquoi ? parce qu’ils avaient peur de vivre dans cette ville trop dense, devenue folle. On répond quoi à toutes ces questions cruciales ? Rien. Après on s’étonne de la fracture avec les politiques et de l’abstention.

Vous attendiez à quoi lors de votre engagement en politique ?

Je pense qu’on est dans un moment historique : soit on change la manière de faire la politique avec d’autres voix, pas forcément meilleures, mais qui pensent autrement et pour qui la politique n’est pas un gagne-pain, soit on va dans le mur.

Vos colistiers en politique, ils pensent comme vous ?

Certains pensent comme moi, oui. Mais ceux qui sont des professionnels de la politique ne diront rien. Ils craignent pour leur job alors qu’aujourd’hui, ce n’est pas pour leurs jobs qu’ils devraient s’inquiéter, mais pour les nôtres, pour les libraires, pour les restaurateurs, pour les jeunes qui ont peur de ne pas trouver de place dans ce monde. J’ai déposé mes gamines à l’école avec la peur au ventre, comme des milliers de parents, et aujourd’hui, on m’explique tranquillement que tout va s’arranger et qu’on pourra aller voter dans les écoles. Je suis effondrée par ce manque de vision. On a une chance unique de réfléchir sur la place des villes, des régions, des transports… mais au lieu de ça, les barons pensent à leur siège. Et je n’ai pas envie de participer à ça.

C’est-à-dire ?

Le second tour se jouera sans moi. Je ne me suis pas engagée en politique pour une place mais pour faire avancer des idées de bon sens. Cantines bio, navigation fluviale pour les livraisons, végétalisation de la ville… Et en cela je suis très heureuse de cette expérience. Et je n’ai pas envie de la gâcher dans les arrières cuisines de la politique politicienne.

Cédric Villani est au courant ?

Oui. Il considère à raison que je suis femme libre donc il respecte ma décision.

Quelle forme va prendre votre désormais engagement politique ?

Je prépare un livre sur la France, c’est pour moi une autre manière de faire de la politique.

Vous êtes engagée en politique depuis l’été dernier, qu’est-ce que vous retenez ?

Sur le terrain, des militants, des fonctionnaires formidables. Des artisans qui veulent faire vivre leur ville. Des associations qui portent haut la question de l’intérêt générale. Mais aussi, hélas, le fonctionnement clanique d’un petit monde hors sol. Ils ont tort de penser que ça peut continuer comme ça. Ils devraient ouvrir en grand la démocratie, mais non, même après le Covid ils se referment sur eux. Nous sommes collectivement en train de rater une étape, nous ouvrons la porte aux poujadistes. Vous pensez que Trump et Bolsonaro sont arrivés au pouvoir par hasard ?