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Agir pour le vivant: juniors

«Chère Greta…» par Marie Desplechin

Agir pour le vivantdossier
Les éditions Actes Sud junior ont demandé à leurs auteur·e·s de contribuer aux réflexions d’Agir pour le vivant en s’adressant aux plus jeunes (mais pas seulement).
(Hélène Builly. «Costume 3 pièces», image extraite de Demain entre tes mains, © Actes Sud junior.)
par Marie Desplechin, écrivaine
publié le 23 mai 2020 à 8h35
Dans
, la revue des collégiens, Marie Desplechin publie chaque trimestre une lettre ouverte à Greta Thunberg, cette adolescente suédoise qui mène un combat citoyen pour que les comportements changent et qu’on évite la catastrophe. Voici en avant-première la lettre qui paraîtra dans le numéro 7 de Dong ! en août.

Chère Greta,

Tu l’as pensé, forcément : ce que l’espèce humaine s’était montrée jusqu’ici incapable de faire, un virus le lui a imposé. Pas en dix ans, pas en un an, pas en six mois. En quelques semaines, le temps de comprendre qu’elle était menacée, là, tout de suite. Du jour au lendemain, elle a mis un stop, à ses déplacements, à ses achats, à sa frénésie. Il était impensable jusque-là de ralentir le trafic aérien, et même de taxer ? Les avions ont été cloués au sol – et les aviateurs ruinés. Il était inimaginable d’arrêter d’acheter des vêtements ? Les boutiques ont fermé – et on n’a vu personne les fesses à l’air. Je ne dis pas que c’est bien, ni qu’il n’y aura pas de conséquences. Je remarque juste que c’est arrivé.

C’est donc que tu as raison. Dès lors que nous avons tous ensemble pris conscience du danger, nous sommes capables de changer nos habitudes, bien plus que nous ne l’aurions pensé. Même nos vieux gouvernements sans imagination y sont obligés. Bien sûr, c’est cher payé. Et ce sont les plus pauvres et les plus fragiles qui souffrent, dans nos pays riches, et encore plus gravement dans les autres. Il nous reste d’immenses progrès à faire en solidarité. Mais est-ce une raison pour reprendre notre folie là où elle s’est arrêtée ? Pour recommencer à extraire, à produire, à brûler… N’avons-nous pas d’autre moyen de vivre que de nous détruire ?

Plus tard, très tard, trop tard

Le virus nous laissera sonnés, mais il finira par disparaître. Les changements qu’entraîne le changement climatique et la disparition de la biodiversité, eux, ne disparaîtront pas. Ils iront en s’aggravant. Mais malheureusement, la menace qu’ils font peser sur nous n’est pas aussi visible, pas aussi immédiate que celle du virus. On peut toujours fermer les yeux, relancer la machine et prétendre que le climat attendra, dix ans, vingt ans… Le temps qu’il soit encore plus tard, très tard, trop tard. Bon sang, Greta, et si on s’y mettait maintenant ? Puisque c’est faisable ?

Je suis certaine que tu n’as pas mis les pieds dans un supermarché depuis longtemps. Tu devrais. Tu y verrais la quantité de plastique qui compose ou qui emballe le moindre objet du quotidien, de la brosse à dents à la tomate, sans parler du savon en bouteille. Quelqu’un sur cette planète sait d’où vient le plastique, où il va, et ce qu’il nous fait ? Est-ce que ce n’est pas le moment d’arrêter ? Tout de suite ?

Lettre

Greta, les forces s'opposent toujours, celle qui va vers le pire et celle qui veut le meilleur. Nous sommes encore plus nombreux qu'hier à vouloir vraiment que la vie change vraiment, maintenant. Pour y parvenir, nous sommes prêts à renoncer à d'anciennes illusions, et à prendre des risques. Un écrivain français t'a écrit récemment une très jolie lettre, qui a été lue à la radio. Il se décrit comme «un vieil homme», il dit que «tu as une beauté apaisante», il ajoute «heureusement que tu es là». Il s'appelle Philippe Djian et tu trouveras facilement sa lettre sur Internet. Elle répare un peu les torrents de haine que d'autres vieux hommes ont déversés sur toi. Elle m'a fait du bien.

Je sais que tu as été atteinte par le virus, ton père aussi. J’espère que vous vous êtes bien remis. Prends soin de toi. Nous avons besoin les uns des autres, aujourd’hui comme jamais.

Marie

Marie Desplechin est auteure de livres jeunesse (Ne change jamais! Manifeste à l'usage des citoyens en herbe, l'Ecole des loisirs)

Et encore…

En attendant le festival Agir pour le vivant, initialement prévu mi-avril et reporté à cet été, à Arles, en partenariat avec Actes Sud, la rédaction de

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