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Distanciation

Privés de parcs, les Parisiens s’agglutinent sur des espaces publics restreints

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Dans la capitale, parcs et jardins n’ont toujours pas été autorisés à rouvrir. Au grand dam de nombreux habitants qui investissent places, quais et bouts de trottoir pour prendre l’air.
Le parc de Choisy fermé, dans le XIIIe arrondissement de Paris, le 22 mai. (Photo Cyril Zannettacci. Vu pour Libération)
publié le 23 mai 2020 à 9h10

Marie ne comprend pas bien par quel «miracle» la voilà en train de discuter avec sa copine Marie-France, sur un banc du jardin Truillot, en face de l'église Saint-Ambroise, dans le XIe arrondissement de Paris. Il y a vingt-quatre heures, l'espace vert était encore fermé, conformément à la doctrine gouvernementale interdisant l'accès aux squares et jardins dans les départements classés «rouges», c'est-à-dire où le Covid-19 circule activement. L'infirmière retraitée, masquée comme son amie, ne s'est pas fait prier. «J'habite le quartier depuis une trentaine d'années et on a très peu d'endroits de ce type, où on voit un peu de vert, dit cette quasi septuagénaire. Si on avait les moyens d'avoir une résidence secondaire, on y serait allée, mais ce n'est pas le cas de la majorité des gens.»

Pour Marie, la décision de maintenir clos les jardins de la capitale est «débile» : «Du coup, tout le monde s'agglutine aux mêmes endroits, sur les quais, aux Invalides, au bois de Vincennes.» A moins, réfléchit-elle, que ce ne soit un «moyen politique d'emmerder Anne Hidalgo», la maire de Paris, qui ne cesse de demander un assouplissement de ces mesures. Alors, les Parisiens se retrouvent le long des quais de Seine et du canal Saint-Martin, sur la moindre placette permettant de prendre l'air, discuter avec des amis ou faire jouer les enfants. Au risque de friser la schizophrénie, quand on observe ces bars-restaurants servant cafés ou bières à emporter, mais derechef consommés sur le bout de trottoir à proximité : distanciation sociale en péril.

Sur les berges, à Paris, le 22 mai.

Photo Cyril Zannettacci.VU pour Libération

«Fermer les parcs mais autoriser les grands centres commerciaux ?»

Kévin et Laurent, 29 et 33 ans, sont eux aussi venus profiter du soleil sur une pelouse du jardin Truillot. En ce début d'après-midi, l'affluence est encore raisonnable, pas de quoi convaincre Laurent de déguerpir, lui qui peste en voyant ses semblables «confondre 10 centimètres et un mètre». «Prendre l'air, oui, mais il faut le faire de manière intelligente», juge-t-il. Kévin, de son côté, rejoint l'analyse de Marie : «Je ne crois pas que la fermeture des jardins soit très judicieuse. Les gens sortent quand même et se retrouvent tous aux mêmes endroits.» Laurent, néanmoins, refuse de mettre sur le même plan le besoin de grand air et celui de reprise de la vie économique. «Pour moi qui suis au chômage, la réouverture des commerces est essentielle. Sinon, la crise va être terrible.»

Jean-Paul, 53 ans, y voit un «paradoxe» : «Fermer les parcs mais autoriser la reprise des grands centres commerciaux ? Je m'interroge.» Son amie Stéphanie, venue s'aérer avec lui sur l'esplanade centrale de la place de la Nation dans le XIIe  arrondissement, perçoit d'autres «aberrations» : «Pourquoi les cinémas demeurent fermés, alors que le métro, lui, circule ? On pourrait réfléchir à des ajustements. Par exemple, n'autoriser qu'un siège sur deux, comme dans les trains.»

Des Parisiens «indisciplinés» ?

La place de la Nation, rarement aussi fréquentée, draine ce vendredi une foule hétéroclite. Des lycéennes, à l'image de Sarah et Kim Lien, 17 ans, venues pique-niquer et papoter, rassurées par le respect mutuel des règles sanitaires : «Tout le monde reste bien à distance», salue Kim Lien. Ou ces deux copines adeptes du bronzage, la cinquantaine. L'une d'elles, Nathalie, explique : «Je suis en vacances cette semaine et j'ai envie de prendre l'air. J'habite dans un appartement de 32 m², sans balcon, et le confinement n'a pas été facile. Depuis dix jours, on revit !»

Les familles sont parmi les plus représentés. Flerelle et Teddy finissent leur déjeuner en compagnie de leurs deux enfants de 6 et 2 ans. Résidant près de la porte de Montreuil, dans l'est de la capitale, ils disent n'avoir près de chez eux «aucun lieu» où aller faire gambader leur progéniture. «Ou alors, à des endroits où ce n'est pas recommandé à cause des jeunes qui squattent et du deal», soupire Teddy. A la télévision, ils ont vu les images de foule agglutinée sur les quais de Seine ou l'esplanade des Invalides. Lui pense que les Parisiens sont «trop indisciplinés» pour espérer la réouverture prochaine des espaces verts.

Camille, 45 ans, formule les mêmes interrogations. Cette médecin hospitalière, venue avec Angèle sa fille de 9 ans, sait que le risque d'une deuxième vague épidémique existe : «Je comprends la prudence d'Olivier Véran, le ministre de la Santé, mais je suis tiraillée : il fait chaud, les gens sont confinés depuis des semaines dans des appartements souvent trop petits.» En temps normal, elle aurait probablement investi le jardin Sarah-Bernhardt, toujours fermé. Il y a quelques jours, elle est allée au bois de Vincennes : «C'était bondé, les gens étaient les uns sur les autres.» Pour ce début de week-end de l'Ascension, elle a donc préféré se rabattre sur la place de la Nation, cernée par le trafic automobile. Elle se tourne vers sa fille : «Tu en penses quoi, toi ?» Angèle : «Si plus de parcs étaient ouverts, les gens pourraient mieux se répartir.»