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Libération
Reportage

A Marseille, «Raoult est un Che Guevara de chez nous»

Quoi que disent les experts sur l’inefficacité de son traitement, le professeur de l’IHU reste adulé par les Marseillais, qui saluent ses dépistages massifs et sa ténacité.
Devant l’entrée de l’IHU, à Marseille, en mars. (Photo Yohanne Lamoulère. Tendance floue pour Libération)
par Stéphanie Harounyan, correspondante à Marseille
publié le 26 mai 2020 à 20h36

Le camion vient à peine de se poser place Castellane, en plein centre de Marseille, que les passants dégainent leur portable. Dans le viseur, l'écran géant au dos du van, affichant le visage de Didier Raoult et un message : «Marseille et le reste du monde vous soutien» (sic). Depuis le 11 mai, le camion sillonne la ville. «Et à chaque fois c'est pareil. Des bravos, des klaxons, des applaudissements, des photos… Que du positif !» assure son propriétaire, Mickaël Chevalier. Raoult et les Marseillais, l'histoire d'amour a démarré mi-mars. Paralysés par le confinement devant leur écran, les Français découvraient le visage de l'infectiologue et sa vidéo «Fin de partie pour le Covid-19». Raoult invite aussi les Marseillais, malades ou simplement inquiets, à venir se faire dépister à l'IHU, le pôle d'infectiologie qu'il dirige, faisant de la ville un cas unique en France avec la population «la plus dépistée au monde», dixit le professeur.

«Statue»

Les premières manifestations d'amour naissent là, dans la file d'attente devant l'institut, où chaque sortie du «maître» est accueillie par des applaudissements. Alors que les experts doutent de l'efficacité de son protocole associant l'hydroxychloroquine et l'azithromycine (un antibiotique), les Marseillais font bloc derrière Raoult et affichent leur admiration jusque dans la rue en installant des banderoles. La plus grande est restée accrochée devant l'IHU presque deux mois : «Marseille et le monde avec le Pr Raoult.» Signée les South Winners, l'un des plus gros clubs de supporteurs de l'OM : «Malgré l'adversité et les réticences de certains […], il réaffirme son point de vue sur l'efficacité de son traitement, […] s'inscrivant ainsi, en quelque sorte, dans la devise de l'OM, "droit au but" face à l'urgence de la situation», ont-ils commenté.

Même les politiques locaux s'en mêlent. Le maire sortant, Jean-Claude Gaudin, ne manque pas une occasion de célébrer «l'extraordinaire travail» du professeur. Ses lieutenants LR, dont plusieurs touchés par le Covid-19 ont été traités à l'IHU, lui emboîtent le pas. Visiblement sensible aux élans de sympathie, l'institut relaie sur son compte Twitter les images des défilés d'éboueurs, de taxis ou d'ambulanciers venus apporter leur soutien à coups de klaxons.

«S'il n'avait pas été là, il n'y aurait eu que du négatif. Lui, avec son discours et son traitement, il a permis de relativiser», décode Mickaël Chevalier. Lui n'a pas découvert Didier Raoult avec le Covid. L'an dernier, c'est l'infectiologue qui l'a soigné lorsqu'il était atteint d'une maladie rare. «Il mériterait d'avoir une statue dans le Vieux-Port», soutient le Marseillais. Alors, quand il crée Drive Pub Led, sa société de van publicitaire vidéo, durant le confinement, il décide de faire «d'une pierre deux coups : de la pub pour mon entreprise, et remercier le professeur et tout le personnel hospitalier».

Ugo Palvini cherchait lui aussi à rendre hommage en empruntant «d'autres biais» que les médias, trustés selon lui par les «anti-Raoult». L'infectiologue, ce restaurateur marseillais l'a désormais dans la peau, version tatouage flanqué d'un «Made in Marseille» sur sa jambe. «Une sorte de coup de gueule artistique, explique-t-il. Pour moi, Didier Raoult est une sorte de Che Guevara de chez nous, qui tient tête au gouvernement et à toute cette machinerie de l'argent qui passe avant la santé publique.» Et si son traitement à base d'hydroxychloroquine s'avérait moins efficace que prévu ? «Ce n'est même plus le débat, corrige le tatoué. C'est surtout sa démarche que je soutiens : tester en masse et tenter de soigner. Le gouvernement et les experts ont entretenu nos peurs, Raoult a agi, tenté quelque chose, calmé le jeu. En laissant les autres polémiquer, sans rentrer dans le clash. C'est ça qui est admirable !» Depuis qu'il a affiché son tatouage sur Instagram, lui aussi a attiré les médias. «Certains internautes ont dit que c'était n'importe quoi, avec tout le décor qui va avec Marseille, s'énerve-t-il. C'est comme pour Raoult : s'il avait été à l'Institut Pasteur, il n'aurait pas eu le même traitement médiatique. On n'a parlé que de son look, du fait qu'il soit marseillais…» Lui l'assure : il aurait fait le tatouage, professeur «made in Marseille» ou pas.

«Bernard Tapie»

Même s'il faut bien le reconnaître : si la «Raoult mania» a largement dépassé les frontières locales, avec tee-shirts, tableaux et même bougies à son effigie, l'iconoclaste professeur a tapé pile dans le cœur d'une ville encline à sanctifier les personnalités atypiques, jusqu'alors plutôt option foot. Pas étonnant ainsi qu'Eric Cantona, autre dieu du Panthéon local ait, plusieurs fois, soutenu l'infectiologue durant la crise. «Bien sûr qu'il y a une fierté, concède Mickaël Chevalier. Ici, on a eu Bernard Tapie, et maintenant on a Didier Raoult. Le foot, c'est bien, mais là, c'est la vie qui est en jeu !» Hasard du calendrier, mardi, Mickaël était attendu devant le Stade-Vélodrome, où les supporteurs devaient célébrer l'anniversaire de la victoire de l'OM en Champion's League, le 26 mai 1993. Sur son camion, il va temporairement remplacer Raoult par une photo de l'équipe, au côté du président Bernard. «Nous, on est entiers, résume-t-il. On aime ou on n'aime pas. Et quand on aime, on aime à fond. Cet amour pour Raoult, c'est à vie.»