Que sera le «monde d'après» la pandémie de Covid-19 ? Bien malin qui pourrait déjà le dire, mais gageons qu'à gauche, on ne perdra pas de sitôt l'habitude de produire à la chaîne des «tribunes» et autres «appels unitaires» pour faire advenir «un autre monde». Fait notable : ce mardi, l'une de ces multiples démarches franchit une étape supplémentaire avec la mise sur la table d'un «plan de sortie de crise» comprenant 34 propositions. Autre fait notable : l'initiative réunit une vingtaine d'organisations dont le spectre s'étend de la CGT à Alternatiba en passant par Solidaires, la FSU, Greenpeace France, Oxfam France, les Amis de la Terre, l'Unef ou encore Attac, soit quelque chose qui commence à ressembler à une convergence concrète entre le social et l'écologie, ce doux rêve de gauche que synthétise le slogan «fin du monde, fin du mois, même combat» né dans le sillage des gilets jaunes.
L'alliance a pris racine dès l'été 2019, autour du trio Attac–Greenpeace–CGT, avant de s'amplifier autour d'une tribune dans le JDD en janvier et de s'accélérer, à la faveur de la pandémie de Covid-19, avec une autre tribune publiée fin mars sous le titre «Plus jamais ça». «La toute première fois que j'ai rencontré Philippe Martinez [le secrétaire général de la CGT], c'était au contre-sommet du G7, à l'initiative d'Attac, qui a eu cette excellente idée», se remémore Jean-François Julliard, le directeur général de Greenpeace France. «On s'est rendu compte qu'il y a beaucoup plus de choses qui nous rassemblent que de choses qui nous opposent», dit-il à l'unisson du leader de la CGT, qui se félicitait mi-mai, dans un entretien à Libé, que des organisations aussi différentes que son syndicat et Greenpeace finissent par se retrouver «pour dire que ça ne peut plus continuer comme avant».
«Etonnamment, ça a été très vite»
Dans les faits, une bonne partie des 34 mesures proposées dans ce «Plan de sortie de crise» ne surprendront pas les habitués des meetings de gauche ou écolos. Florilège : pas de salaires «en dessous de 1 700 euros nets» ; un temps de travail de référence de 32 heures hebdomadaires ; pas de licenciements qui ne seraient pas «justifiés par des difficultés économiques graves et immédiates» ; revalorisation massive de «l'ensemble des minimas sociaux et des aides sociales» ; suppression de la dette des pays pauvres et «rachat de dette publique en lui donnant le statut de dette perpétuelle avec un taux d'intérêt nul» pour ce qui concerne la France ; soutien à la transition écologique en permettant «aux paysan·nes de développer les protéines végétales et prairies, lier l'élevage au sol, gérer durablement l'eau, lutter contre la déforestation importée, s'affranchir à terme des pesticides et engrais de synthèse et des multinationales qui les fabriquent»…
Des idées classiques, mais unanimement adoptées par les signataires après avoir été «passées au prisme et au crible de nos grilles de lecture respectives», dit Jean-François Julliard. «Etonnamment, ça a été très vite», souligne Cécile Duflot, directrice générale d'Oxfam France. «Tout le monde est très conscient de la nécessité. Tout le monde a envie que ça se passe bien», ajoute-t-elle. Ce qui ne signifie pas que cela s'est fait sans discussions : «Il y a eu des débats entre Oxfam et Attac sur la taxe sur les transactions financières, Oxfam considérant qu'il en existait déjà une, Attac considérant que non», raconte Aurélie Trouvé, porte-parole d'Attac. «Finalement, on a écrit qu'il y avait déjà une taxe sur les transactions financières, mais à améliorer. Les compromis ont dû être faits de toutes parts. Même sur la question agricole et alimentaire, ça n'est pas forcément simple entre la Confédération paysanne et les syndicats représentant les salariés agricoles.»
«Cette crise, ça peut aussi être l’occasion d’un choc néolibéral»
Les enjeux du moment ont peut-être aidé à fortifier les rapprochements, tout en rendant certaines propositions plus légitimes. «Vous voyez bien tous les débats autour de la relance des activités les plus polluantes», lance Aurélie Trouvé. «C'est là que notre cadre prend tout son sens. On ne pensait pas qu'il prendrait autant de sens dans la période.» «Certaines idées n'auraient peut-être pas été perçues aussi positivement avant la crise», avance de son côté Jean-François Julliard. «Par exemple, l'interdiction de certaines lignes aériennes est aujourd'hui dans le débat public. Avant, il n'en était même pas question. On sent bien qu'au sein même du gouvernement, des certitudes ont été remises en cause.» Autre sujet majeur : le système de santé. «La question des hôpitaux, là elle est vraiment au centre», relève Aurélie Trouvé. «On écrit qu'il faut créer 100 000 emplois de fonctionnaires. On a chiffré. Ce ne sont pas des grands mots, des grands discours.»
Reste à savoir ce qu'il adviendra de tout cela. Pour l'heure, une vaste réunion Zoom a été organisée avec l'ensemble des partis politiques représentant la gauche, du Parti socialiste au NPA, afin de poser les bases d'un dialogue élargi. Et si certaines mesures sont d'application directe, tout n'est pas figé. «Il y a des points qu'il faut qu'on développe : la reconversion industrielle, la reconversion énergétique et l'Europe», explique Aurélie Trouvé. «On a encore beaucoup de boulot, mais il faut se donner le temps, le faire à notre rythme. On ne peut pas régler en quelques semaines des débats de plusieurs années», ajoute-t-elle, en vantant un plan «évolutif» destiné à s'enrichir en invitant les citoyens et les salariés à s'en emparer. Tout en avertissant : «Dans ces moments d'immédiat après-crise, les choses s'accélèrent. Et elles peuvent s'accélérer dans différents sens. Cette crise, ça peut aussi être l'occasion d'un choc néolibéral. D'où la nécessité de se mobiliser maintenant.»