D’une certaine façon, on pourrait dire que la professeure Constance Delaugerre est l’inverse de Didier Raoult. Dans cette épidémie où des figures de la médecine se sont imposées jour après jour sur la scène publique, elle est restée un de ces visages discrets. On la voit peu. Non pas qu’elle se cache, mais elle travaille. Virologue, cheffe de service à l’hôpital Saint-Louis à Paris, elle est réputée et très reconnue dans son domaine. Elle a ainsi longtemps travaillé sur le sida, présidant par exemple le comité scientifique et médical de Sidaction.
Mais depuis deux mois, tout déborde avec le Covid-19. Elle n'a plus aucun temps libre. Elle vous répond tout en faisant autre chose. «Attendez je vous rappelle.» Puis insiste : «Ce n'est pas mon travail de parler publiquement. On court après le temps.» Encore aujourd'hui, la tension reste forte sur les réactifs. «Avec les tests rapides de PCR (1), qui nécessitent des équipements sophistiqués, on ne peut en réaliser qu'une dizaine par jour, et toujours en urgence, cela reste donc limité. Cela ne se détend pas, c'est une préoccupation hebdomadaire. On n'arrive pas à faire autre chose, il y a une grosse demande. On aimerait tester rapidement des centaines de personnes, mais on ne peut pas. On est toujours en tension.»
«Cocktail très compliqué»
Constance Delaugerre joue franc jeu. Lorsqu'on lui demande si ce virus la surprend encore, elle n'hésite pas : «Oui, ça demeure un mystère. Alors que la Terre entière travaille dessus, on peut dire que l'on reste démunis, surpris, et il faut être prudent. En plus, on est assaillis d'infos qui nous arrivent de partout, il y a des publications, des prépublications. Il y a aussi ce que l'on voit au travers de notre pratique courante de virologue. Bref, cela fait un cocktail très compliqué pour y voir clair. On reste surpris et on essaye d'agir de façon pragmatique.»
Alors revenons au basique du Covid-19 : «C'est un coronavirus. Un virus à ARN [acide ribonucléique, ndlr]. Il n'a pas été inventé dans un laboratoire. Comme beaucoup d'autres, il est proche des coronavirus infectant les chauves-souris, et il a sans doute transité par des animaux intermédiaires. Il est nouveau, donc la population humaine n'en est peu ou pas immunisé.» Quant à savoir depuis quand il est là, «sûrement depuis plus longtemps qu'on ne le dit», lâche Contance Delaugerre. «Les virus à ARN ? On en connaît certains, comme le VIH et le VHC. Ils sont très agiles, ils jouent avec le système immunitaire.» Leur mutation ? «Plusieurs virus circulent mais nous sommes au tout début de l'épidémie, on a l'impression d'être dans une tornade. A la différence du virus de la grippe qui est segmenté avec des souches dominantes qui émergent chaque année, le Sars-coV-2 ne bouge apparemment pas beaucoup, ce qui est rassurant. Les mutations peuvent être ponctuelles, mais bien moindres que le VIH.»
Puis elle ajoute : «Aujourd'hui, il me semble prématuré de dire s'il y a plusieurs souches qui circulent. On ne peut rien affirmer.» Il faut du temps pour analyser la circulation de différentes souches virales à l'échelle de la planète. Et son tempérament de ne dire que ce qui est vérifié revient avec force : «Il faut être patient, or ce n'est pas la qualité dominante aujourd'hui avec la pression qui s'exerce de tous côtés.»
Perplexe
Autre volet qui la concerne directement, celui des tests : «Les tests virologiques ? Pas de problème. Cela roule. On sait les faire, grâce à un séquençage du virus très rapide qui a eu lieu dès janvier, et grâce à nos collègues allemands qui ont tout de suite mis la "recette" à disposition. Alors qu'au passage, on peut noter que l'Institut Pasteur n'a pas franchement joué le jeu, on vient tout juste, le 22 mai, de recevoir la liste des tests homologués.»
Sur les tests sérologiques (recherche d'anticorps par le recueil de quelques gouttes de sang), Constance Delaugerre reste prudente : «Il semble que toutes les immunités sont importantes : l'immunité innée, l'immunité adaptative donc les anticorps. Si quelqu'un est positif, on ne peut pas en dire grand-chose sauf que cette personne a été en contact avec le virus. Après, on ne sait pas encore, si c'est protecteur, ni si la personne est encore contagieuse.» Ces tests n'ont, à ses yeux, pas d'autre intérêt qu'épidémiologique. Perplexe, elle argumente : «Certains patients guérissent très bien sans anticorps neutralisants, ce qui indique que l'immunité cellulaire a bien réagi. D'autres, en revanche, s'aggravent avec une bonne réponse anticorps.» Pourquoi ? «Les anticorps peuvent aggraver. Pour ceux qui n'arrivent pas à guérir, c'est la réponse immunitaire qui va exacerber la pathologie…»
«Essayer de comprendre»
La suite ? «Comment ne pas être prudent ? dit-elle une nouvelle fois. La situation mondiale est compliquée, on le voit avec les premières enquêtes qui montrent que peu de gens ont été en contact, 5% à 10% selon les régions en France. Il faudra plusieurs années pour que l'immunité de la planète augmente… D'où l'importance d'avancer sur le traitement et le vaccin.»
Elle ajoute : «Certains virus à ARN sont saisonniers. Mais ce que je vois c'est qu'avec les beaux jours on change nos modes de vie, nous sommes plus souvent dans des lieux ouverts à tous vents, c'est peut-être cela qui joue.» Puis, un rien ironique : «Tout le monde est devenu expert, les gens n'avaient que cela à faire. On passe le temps à se démentir les uns et les autres.» Elle ne dira du mal à personne. «Cela n'a aucun intérêt», dit-elle, même si elle ironise sur Libération qui a fait de «bien belles photos de Raoult». Rien d'autre. On peut se sentir frustré, sans propos définitifs, ni d'hypothèses lancées pour épater la galerie. La professeure Constance Delaugerre est ainsi. Elle est là pour travailler. «La situation est inédite. J'aimerais que l'on analyse la prise en charge collective, pour essayer de comprendre, ce que l'on a fait de bien et de pas bien.»
(1) La recherche du virus par la technique du PCR se fait avec une tige que l'on met dans le nez pour faire un prélèvement. L'analyse repose sur la technique d'amplification génétique.