Un député à l'ancienne, une grande gueule de l'Assemblée. Toujours bagarreur, tantôt sincère, tantôt blagueur, Claude Goasguen assumait, son éternel sourire de séducteur aux lèvres, la part de théâtre, de cynisme et de mauvaise foi qui caractérisent la vie politique. Exprimant leur tristesse après l'annonce de son décès ce jeudi matin, beaucoup de ses collègues, sur tous les bancs de l'hémicycle, semblaient voir partir, avec lui, l'un des derniers représentant d'une génération haute en couleur. «Il y avait du Cyrano chez ce fier bretteur de l'Assemblée nationale, qui s'ennuyait lorsque les eaux étaient calmes et n'aimait rien tant que le fracas des batailles», dit de lui son ami, le député LR Guillaume Larrivée. «Claude Goasguen était un rude adversaire. A l'heure de la mort, je veux témoigner de son urbanité courtoise en privé et de son exquise culture contre révolutionnaire. Je vais vous dire qu'il me manquera comme interlocuteur», enchaîne le chef des insoumis, Jean-Luc Mélenchon.
Atteint par le Covid-19, l'ancien ministre et maire du XVIe arrondissement de Paris «allait mieux» et «remarchait» quand il a été emporté par des complications cardiaques, a fait savoir son entourage. Goasguen meurt à l'âge de 75 ans, comme son vieux compagnon de route Patrick Devedjian, président LR du département des Hauts-de-Seine, lui aussi victime de l'épidémie le 29 mars. Les deux hommes ont en commun d'avoir rejoint l'extrême droite pro-Algérie française quand ils avaient 20 ans et faisaient leur droit à la fac d'Assas. Ce fut aussi le premier engagement politique de deux autres futurs ministres, Gérard Longuet et Alain Madelin. «Goasguen m'a cassé la gueule en 68 avec Longuet, Madelin et Devedjian. […] Depuis, on s'est réconcilié ! Cher Claude, je t'aimais bien et je te salue avec amitié et respect ! Tu étais un reac sérieux», se souvient sur Twitter l'ex-soixante huitard Roland Castro. «Nous étions surtout un groupe de jeunes gens partageant leur mal-être, tous plus ou moins déracinés, en conflit avec nos familles», expliqua un jour Goasguen à Libération, à propos de ses combats de jeunesse.
Député de Paris depuis 1993
A partir du début des années 70, il naviguera au centre droit et à droite, de l'UDF de Valéry Giscard d'Estaing Jusqu'à l'UMP de Jacques Chirac qui le fera ministre éphémère – 5 mois seulement – dans le premier gouvernement Juppé de 1995. «Qu'importe ce que la politique peut en dire, il était mon ami et j'étais le sien, depuis nos vingt ans. Et tous les deux nous le savions», a écrit sur Twitter François Bayrou, suggérant ainsi que les liens noués jadis dans la famille centriste avaient résisté à leurs innombrables désaccords politiques au cours des dernières décennies. En 1997, les deux hommes, alors dirigeants de Force démocrate, s'étaient notamment opposés sur le rapport au Front National. Avant de refermer la porte, Goasguen avait envisagé «d'ouvrir le dialogue» avec le parti lepéniste, si celui-ci rompait avec ses «thèses racistes».
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Maire du XVIe arrondissement pendant près de vingt ans, député de Paris depuis 1993, Goasguen incarne la figure du «baron» d'une droite parisienne turbulente. Chroniquement divisée depuis la fin de l'ère Chirac, elle se décrit elle-même comme une «machine à perdre». En 2008, après une deuxième défaite consécutive contre Bertrand Delanoë, Libération racontait comment le député-maire du XVIe fut à deux doigts d'en venir aux mains lors d'une dispute avec son collègue Jean-François Lamour dont l'élection à la tête du groupe UMP l'avait fortement contrarié. Avant les municipales de 2014, une mémorable dispute l'avait opposé à Rachida Dati. «Ne ramène pas tes mœurs du 9-3 dans la capitale» lui avait-il lancé. «Tu te prends pour quoi pour me parler sur ce ton ? Tu t'y crois autorisé parce que j'ai refusé de coucher avec toi ?» avait répliqué l'ex-ministre de la Justice. Alors que cet échange d'amabilité s'étalait sur la place publique, Goasguen, en représailles, n'avait pas hésité, hilare, à montrer aux journalistes un SMS très personnel et particulièrement croustillant que Dati lui avait adressé quelques mois plus tôt.
Souplesse politique
Après l'élection d'Emmanuel Macron, il fut l'un des rares députés des beaux quartiers de l'Ouest parisien à ne pas être balayé par la vague macroniste. Mais il a senti le vent du boulet. C'est pourquoi, après avoir affiché son soutien à Edouard Philippe en 2017, il prônera une alliance LR-LREM pour battre Anne Hidalgo à Paris. Les macronistes lui ayant opposé une fin de non-recevoir, il se ralliera finalement à la candidature Dati, témoignant au passage d'une remarquable souplesse politique.
A l'Assemblée, il avait fait du soutien à Israël et du combat contre l'antisémitisme l'une de ses priorités. A quoi s'était ajoutée, ces dernières années, la défense des chrétiens d'Orient. «Chrétiens et juifs sont considérés comme des religions qui n'auraient pas leur place dans cette partie du monde. […] La France doit être en première ligne dans ce combat», déclarait-il en 2013.
Dans un tout autre registre, Claude Goasguen s'était engagé contre le mariage pour tous. Et, à l'échelon local, sa grande cause restera la défense des habitants de son arrondissement. C'est ainsi qu'il a très activement soutenu la fronde des riverains du Bois de Boulogne contre l'ouverture d'un centre d'hébergement d'urgence pour SDF en mars 2016. Il n'avait pas hésité à prophétiser l'apparition d'un nouveau «Sangatte», en référence au centre surpeuplé de migrants à Calais. Il n'en fut rien. Fort en gueule, mais pragmatique, Goasguen donnera, un an plus tard, son aval à l'ouverture d'un deuxième centre.