Et c'est enfin un petit air chaud de liberté qui revient. Si le Premier ministre s'est appliqué jeudi à continuer de souffler «la prudence» aux oreilles des Français, l'acte II du déconfinement rouvre nombre de portes qui s'étaient refermées. Particulièrement dans les zones vertes, avec des bémols et encore un peu de patience demandée aux habitants des «zones orange», soit l'Ile-de-France, la Guyane et Mayotte. Réouverture sur tout le territoire des parcs et jardins ; cafés, bars et restos pour tous (mais seulement en terrasse pour les «orange») ; gymnases et piscines pour les verts… La culture aussi va reprendre vie, tandis que davantage d'écoliers, collégiens, et aussi lycéens vont retrouver un semblant de vie scolaire «normale», même si l'oral de français du bac est purement et simplement annulé. Comme l'a résumé Edouard Philippe, «les nouvelles sont plutôt bonnes», même si la liberté retrouvée (exit la règle des 100 kilomètres) a ses limites : les rassemblements de plus de dix personnes restent prohibés. Zoom sur ces annonces favorisées par une amélioration au plan sanitaire.
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Education: Pas d’oral de français mais retour amplifié dans les établissements
Dernier vestige du baccalauréat 2020, l'oral de français n'aura pas lieu. Depuis l'annulation de toutes les autres épreuves du bac, annoncée en avril, le sort de cet oral symbolique était suspendu. Le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, avait promis une décision ce vendredi, il a finalement décidé de trancher dès jeudi. Une annulation visiblement décidée à regret par le ministre, pour qui «l'oral est une compétence indispensable à la réussite personnelle et professionnelle». Comme l'épreuve écrite de français, cet oral sera remplacé par les notes du contrôle continu de français, «dans un acte de profonde confiance envers les enseignants».
Pour Frédérique Rolet, professeure de français et secrétaire générale du Snes-FSU, c'était la décision à prendre. «L'oral de français, c'est 540 000 candidats. Cela aurait fait beaucoup de monde dans les centres d'examen et surtout posé un problème pédagogique, explique la syndicaliste. Beaucoup de collègues n'avaient pas encore commencé à préparer l'oral en mars, et l'épreuve a été modifiée cette année avec l'entrée en vigueur de la réforme du lycée. Les conditions de confinement très différentes entre les candidats auraient créé trop d'inégalités.»
La décision est tout de même surprenante, au vu des autres annonces de Jean-Michel Blanquer, axées sur «l'amplification» de la reprise de l'école. Dans les zones vertes, les collèges qui étaient jusqu'ici uniquement ouverts aux classes de sixième et de cinquième devront accueillir tous les niveaux à partir du 2 juin. Avec le passage en zone verte de la plupart des départements, cela signifie que la majorité des collèges se remettront en route la semaine prochaine. Même ceux situés en zone orange vont rouvrir leurs portes, aux élèves de sixième et de cinquième. Les lycéens vont également retrouver leurs classes, du moins en zone verte. Les établissements y sont tenus de rouvrir, et d'accueillir «progressivement» les élèves. En zone orange, les élèves pourront uniquement s'y rendre pour des entretiens individuels avec leurs enseignants, concernant par exemple leur orientation. L'accent est mis sur les lycées professionnels, où «le décrochage est plus important», et les besoins différents. Ils pourront reprendre les cours, même en zone orange, où ils devront accueillir uniquement les élèves qui ont besoin de certifications professionnelles.
«L'amplification» de la reprise de l'école devrait aussi signifier plus d'établissements ouverts et plus d'élèves accueillis. C'est du moins ce que souhaite Jean-Michel Blanquer, qui a martelé que «toutes les écoles seront ouvertes», alors qu'environ 20 % d'entre elles ont gardé porte close. En l'absence de modification du protocole sanitaire, qui fixe à quinze maximum le nombre d'enfants par classe, l'élargissement de l'accueil devrait passer par des activités périscolaires «sport, santé, culture, civisme». Le ministère de l'Education nationale passe actuellement des conventions avec les municipalités pour qu'elles mettent en place ce type d'activités, réalisées de préférence à l'extérieur. Elles devraient aussi être prévues dans les collèges.
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Bars et restaurants : alors, verre ou pas verre ?
«Compte tenu de l'évolution de la crise sanitaire, les restaurants et les cafés pourront ouvrir à partir du mois de juin avec des restrictions temporaires en zone orange» : pour le secteur de la restauration, le soulagement est à deux vitesses. A partir du 2 juin, la liberté ne sera pas totale. Dans les zones vertes, les tablées ne pourront excéder 10 convives et il devra y avoir un espace minimum d'1 mètre entre chaque table. En salle comme en cuisine, les équipes de travail devront porter un masque. Idem pour les clients lorsqu'ils se déplacent, ce qui laisse supposer que l'on ne pourra se lever pour aller au petit coin à visage découvert. Enfin, les consommations debout, donc au bar, ne seront pas autorisées. Dans ce mouvement de retour progressif vers la normale, l'Ile-de-France, Mayotte et la Guyane sont soumises à un régime spécial : seules les terrasses pourront y rouvrir. Pour ces zones orange, rendez-vous est pris au 22 juin pour un alignement sur les mêmes modalités d'ouverture qu'en zone verte. Les annonces gouvernementales ciblent également les campings et autres villages vacances. Ils pourront de nouveau accueillir leurs clients à partir de mardi, mais uniquement en zone verte. Cette annonce sonne cependant comme un signal d'ouverture de la saison touristique, d'autant que les colonies de vacances prévues en France pourront avoir lieu.
A Montpellier, Jacques Pourcel, propriétaire de trois restaurants dont un situé sur la plage, sert en saison 1 000 couverts par jour. Il attend encore des précisions sur la manière exacte de calculer l'espacement d'1 mètre entre les tables et s'inquiète de l'obligation du port du masque en cuisine : «Nous sommes amenés à goûter régulièrement ce que nous préparons. Est-ce que nous devrons changer de masque à chaque fois ?» L'interdiction de consommer debout va le contraindre à condamner son bar à tapas. En revanche, la vaste terrasse de l'un de ses établissements devrait lui permettre de rattraper le chiffre d'affaires perdu en salle.
L'ouverture plus restreinte en Ile-de-France enthousiasme très modérément Xavier Denamur, propriétaire de cinq restaurants à Paris qui emploie 68 salariés : «Si je veux respecter les distances, ma terrasse qui compte 24 places ne pourra accueillir que 8 clients. Je sais faire tourner des restaurants avec 70 % à 80 % de taux de remplissage. En dessous, il faut que l'on m'explique comment être rentable.» Les mesures barrières semblent également lui causer quelques soucis : «Nous avons échappé aux gants en cuisine mais les cuisiniers vont suffoquer avec le port du masque. Je suis aubergiste, pas urgentiste.»
Culture : musées, spectacles et cinémas voient enfin la lumière
Pour la culture aussi, les voyants passent enfin au vert : Edouard Philippe a annoncé la réouverture de tous les musées et monuments dès le 2 juin, ainsi que celle des salles de spectacle à la même date dans les zones vertes, et le 22 juin en zone orange - sous réserve d'arriver à remettre une programmation sur pied. Le port du masque y sera obligatoire et la gestion de l'espace devra s'y conformer au protocole sanitaire. A la demande des exploitants, les cinémas rouvriront sans distinguo entre zones le 22 juin. «La logique de la prudence et de la confiance» prime pour ces espaces confinés sans jauge maximale d'accueil des publics spécifiée. «Notre grand adversaire, ce sont les très grands rassemblements», a déclaré Edouard Philippe : la jauge maximale de 5 000 personnes pour les rassemblements en plein air reste en vigueur, mais «pourra le cas échéant être revue à la baisse par les préfets».
Transports : feu les 100 km maximum
Symbole entre tous de cette deuxième phase du déconfinement, la limite des 100 km de déplacement autorisé autour de son domicile saute à partir de mardi. Mais il faudra attendre encore un peu pour partir à l’étranger, au sein de l’UE comme au-delà des frontières de l’Europe.
Si la France est favorable au retour à la liberté de déplacement au sein de l’UE, le Premier ministre a indiqué qu’une décision collective au niveau européen interviendrait le 15 juin pour les règles d’entrée à l’intérieur du territoire européen. Au sein de l’UE, la réouverture des frontières françaises sans mesures de quartorzaine sera effective à la même date, sauf dans le cas où d’autres pays appliqueraient ce type de mesures pour les ressortissants arrivant de France. Dans ce cas, la réciprocité s’appliquera, ce qui signifie que la France placera en quartorzaine les arrivants d’un autre pays européen qui maintiendrait une telle mesure au-delà du 15 juin pour les arrivées de France.
Enfin, les transports publics vont progressivement reprendre leur activité : l’aéroport d’Orly rouvrira le 26 juin et la SNCF compte reprendre son trafic normal dans les jours qui viennent. Pour les transports en commun en Ile-de-France, Edouard Philippe a indiqué que l’obligation d’avoir une attestation pour se déplacer aux heures de pointe serait levée dans les jours qui viennent, en concertation avec la présidente LR de la région, Valérie Pécresse.
Santé : un seuil de «vigilance»
«Les résultats sont bons» : deux semaines et demie après le début du déconfinement, Edouard Philippe s'est d'emblée félicité de l'évolution de la situation sanitaire. Illustrant son propos d'une carte de France presque intégralement verte, tout juste parsemée d'îlots de couleur orange (l'Ile-de-France, la Guyane et Mayotte), le Premier ministre a indiqué que la propagation du Covid-19 était «sous contrôle». «Nous sommes là où nous espérions nous trouver, et même un peu mieux», a-t-il détaillé.
Ainsi, 1 500 personnes sont aujourd'hui hospitalisées dans un service de réanimation, contre plus de 7 000 au moment du pic épidémique il y a deux mois. Le R0, c'est-à-dire la probabilité qu'un malade infecte d'autres personnes, s'élevait à 3 en mars. Il est désormais inférieur à 1, ce qui signifie que l'épidémie «régresse», selon les mots du ministre de la Santé, Olivier Véran. Les hôpitaux de la région Grand-Est, la première touchée par la vague, se sont largement vidés de leurs malades du Covid-19 : moins de 40 % des lits de réanimation leur sont désormais dédiés.
Pour autant, une vigilance particulière continuera à être portée à certains départements, notamment en Ile-de-France où le Val-d'Oise concentre le plus de difficultés. De nouveaux indicateurs serviront de tableau de bord : le R0, l'incidence du virus (le nombre de personnes infectées chaque semaine pour 100 000 habitants), le taux de positivité des tests PCR (aujourd'hui de 1,9 %), ainsi que le taux d'occupation des services de réanimation (à partir de 40 % de patients atteints du Covid, un seuil de «vigilance» sera activé). Conséquence directe pour ces territoires encore fragiles, selon Edouard Philippe : «Le déconfinement y sera un peu plus prudent au cours des trois prochaines semaines.» La guerre sanitaire n'est pas encore terminée.