C’est la fin d’une ère à Lyon, et la fin du mythe d’une ville à la fois berceau et laboratoire du macronisme à l’échelle locale. Dans l’espoir de faire barrage aux écologistes, Gérard Collomb, ancien hiérarque socialiste devenu l’un des premiers piliers de LREM, a confirmé jeudi avoir topé une alliance avec LR. Arrivé à pied de l’hôtel de ville, masque sur le visage, dans la petite salle remplie de journalistes, le maire de Lyon a annoncé qu’il laissait sa place au candidat de droite, François-Noël Buffet, pour briguer la présidence de la métropole.
Le baron rhodanien n'est pas allé jusqu'à évoquer son retrait de la vie publique. Mais ce désistement surprise traduit une prise de distance inédite de la part de celui qui a fait la pluie et le beau temps sur les affaires de la ville pendant vingt ans. Questionné par les journalistes, il a précisé qu'il continuerait à figurer sur les nouvelles listes communes, sans détailler son éventuelle position. Précision de taille : l'ex-ministre de l'Intérieur, qui se targuait d'un lien spécial avec Emmanuel Macron, a ajouté qu'il n'avait pas consulté le Président pour conclure cet accord. «Je n'ai jamais été caporalisé», a-t-il même glissé, avant d'aller prendre un verre au bar de l'hôtel, étrangement ouvert. Pour le parti présidentiel, déjà en mauvaise posture dans la plupart des grandes villes au soir du premier tour, ce rapprochement avec LR vient encore corser les choses après l'annonce d'une fusion entre les listes LREM et LR dans le Ve arrondissement de Paris.
«Reniements»
Tenant de l'aile droite du PS, député puis sénateur socialiste du Rhône, Gérard Collomb avait été élu en 2001 puis réélu en 2008 et 2014 à la mairie de Lyon à la faveur des divisions de la droite locale, avant de devenir un soutien précoce d'Emmanuel Macron pour la présidentielle de 2017 et l'un des fervents VRP de La République en marche naissante. Invoquant la nécessité de «se réunir» pour faire face à la «crise extraordinaire» provoquée par l'épidémie de Covid-19, il a expliqué avoir proposé que François-Noël Buffet prenne le leadership, «parce que je le connais, j'apprécie ses qualités, sa connaissance des dossiers». Les deux hommes se côtoient en effet depuis des années : candidat pour la quatrième fois à la présidence de la métropole de Lyon, Buffet, sénateur et conseiller métropolitain, a tantôt été un opposant, tantôt un allié des majorités mouvantes de Collomb. Il a appelé jeudi à «transcender les aspects partisans» pour «une union qui devra s'élargir».
Ancien président socialiste de la région, Jean-Jack Queyranne a fustigé un Collomb «prêt à tous les reniements» : «Tel un autocrate en passe de perdre, il cherche à s'unir à tout le monde, y compris ceux qu'il a prétendument toujours combattus.» Ancien premier adjoint, le député LREM Jean-Louis Touraine a, lui, dénoncé «l'effondrement des valeurs» du maire sortant. Après cette annonce choc, au lendemain d'un rendez-vous entre Gérard Collomb et Laurent Wauquiez, président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes, certains tempèrent la portée de la décision de l'édile. «Il n'y a pas d'accord global de fusion, il y aura des accords locaux dans certains secteurs, circonscription par circonscription», précise Alexandre Vincendet, patron de la fédération LR du Rhône. Ce dernier, rival de François-Noël Buffet, lorgne du côté de David Kimelfeld, l'actuel président de la métropole. L'ancien dauphin de Collomb est devenu un dissident gênant pour LREM, après avoir remporté 16,92 % des suffrages le 15 mars - devant Collomb, donc, en troisième position derrière l'écologiste Bruno Bernard (22,55 %) et le LR Buffet (17,65 %).
Autre surprise : pour le fauteuil de maire, Collomb et ses alliés continuent à miser sur Yann Cucherat. Au premier tour des municipales, l'ancien gymnaste, adjoint aux sports et aux grands événements investi par LREM, n'est arrivé que troisième (avec 14,92 %), loin derrière Grégory Doucet (EE-LV, 28,46 %) et Etienne Blanc (LR, 17,01 %). Bras droit de Laurent Wauquiez à la région, ce dernier s'efface donc au profit de Cucherat. Un pari plus qu'étonnant. Dans un communiqué, Blanc a justifié cet attelage par la crainte de voir les écolos l'emporter : «Alors que se dessine une crise économique et sociale sans précédent qui exigera des réponses fortes, la deuxième ville de France ne peut raisonnablement pas devenir un petit laboratoire de la décroissance ni le lieu d'expérimentation d'idéologiques hasardeuses pratiquées par des apprentis.»
Alliance
Cabotinant presque, Gérard Collomb s'est dit «très heureux» jeudi de voir autant de journalistes «se tasser dans cette salle». Son désistement lui permet surtout de ménager le capital sympathie acquis auprès des Lyonnais au cours d'une campagne de longue haleine. Et de se préserver, au cas où, pour remplacer Laurent Wauquiez à la présidence de la région, si ce dernier décidait finalement de se consacrer à la présidentielle de 2022.
Lors de sa prise de parole, Yann Cucherat a salué «l'esprit de responsabilité de Gérard Collomb» et vanté «l'héritage qu'il nous lègue et que nous devons honorer». Véronique Sarselli, maire de Sainte-Foy-lès-Lyon, conseillère métropolitaine et soutien de François-Noël Buffet, a voulu saluer cette alliance à la sauce lyonnaise. «Vous connaissez nos défis, Monsieur Collomb, vous avez été maire», a-t-elle commencé. Et l'intéressé de corriger immédiatement : «Je le suis toujours.» Plus pour longtemps.