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Libération
Éditorial

Légitime

publié le 3 juin 2020 à 20h51

Méfions-nous des analogies simples. Violences policières en France et aux Etats-Unis ? Certes. Mais rappelons les proportions. En 2017, tous cas confondus, la police américaine a tué environ 1 000 personnes. La police française… moins de 30 (de mi-2017 à mi-2018). Même en tenant compte de la disparité numérique des deux populations, la disproportion est écrasante. Rien d’étonnant au fond : on compare la France avec un pays où la criminalité par habitant est quatre fois supérieure, où les armes à feu prolifèrent, où les tensions raciales sont légion, où les Afro-Américains n’ont obtenu l’égalité juridique que dans les années 60 et où le racisme blanc s’exprime ouvertement, parfois jusqu’à la Maison Blanche. D’où la révolte civique déclenchée par la mort de George Floyd, étouffé sous le genou d’un flic goguenard.

Tout va bien en France, donc ? Certainement pas. Les deux ministres chargés de l'ordre public, Christophe Castaner et Laurent Nuñez, en conviennent d'ailleurs implicitement. «Le racisme n'a rien à faire dans la police», ont-ils tous deux déclaré ces derniers jours. C'est donc qu'il y en a. Tous ceux qui suivent les affaires policières, y compris au sein de l'institution, parfois au plus haut niveau, s'en alarment : il y a sur ce point un malaise au sein des forces de l'ordre du pays. La violence létale est rare, fort heureusement. Mais la violence symbolique, ou quotidienne, pose problème. Un seul exemple : d'après une enquête du Défenseur des droits réalisée en 2016 auprès de quelque 5 000 personnes, «80 % des personnes correspondant au profil de "jeune homme perçu comme noir ou arabe" déclarent avoir été contrôlées dans les cinq dernières années [contre 16 % pour le reste des enquêtés, ndlr]». Vous êtes non-blanc ? Suspect… A cela s'ajoutent les discriminations au logement ou à l'embauche, largement documentées. Autrement dit, et sans pratiquer de comparaison transatlantique sommaire, la protestation d'hier est parfaitement légitime.