Ne les appelez pas «génération Covid». Déjà abonnés aux stages à répétition, aux petits boulots et aux emplois précaires, ces jeunes actifs ou en fin d'études que Libé a interrogés n'avaient pas la naïveté de croire que le monde d'aujourd'hui leur déroulerait le tapis rouge d'une carrière ascendante, stable, passionnante, sécurisée, bien payée, toute tracée. Mais sans rêver à un avenir radieux, ils aspiraient, avec l'énergie et l'envie de la jeunesse, à une entrée de plain-pied dans la vie active, prêts à tout donner pour décrocher ou garder un premier emploi. Au moins en CDD, avant de viser le graal du CDI. Mais leur élan s'est heurté à l'épidémie de coronavirus, au confinement et à l'arrêt brutal de l'activité économique pendant près de trois mois. Certains ont perdu leur boulot pendant cette période surréaliste, d'autres, diplôme en poche, appréhendent leur arrivée sur un marché de l'emploi dévasté, au moment où le sinistre cortège des plans sociaux ne fait que commencer sur fond de récession déjà annoncée à 11 % pour 2020. Tous ont peur du chômage. Un mot qui ne devrait pas exister à l'âge de tous les possibles. Mais qui touchait déjà près de 20 % des moins de 24 ans en France avant même le choc du Covid-19.
«C’est comme si nos diplômes ne valaient plus rien»Elise, 24 ans, en fin de master d’études européennes à la Sorbonne-Nouvelle, à Paris
«Comme tous les ans, j’avais prévu de prendre un job d’été dans une banque pour mettre du beurre dans les épinards. Il y a deux semaines, l’établissement m’a annoncé qu’ils annulaient tous les contrats à cause de la crise sanitaire. Je me retrouve diplômée et au chômage à la fin du mois. Plus l’échéance approche, plus je panique. Aujourd’hui, je candidate à des CDD et CDI dans ma branche, c’est-à-dire management RH diversité, et à des jobs alimentaires en tout genre, comme les vendanges. Le problème, c’est que même pour ces emplois, il n’y a pas d’offre et les candidatures spontanées n’ont presque aucune chance d’aboutir. Toutes les entreprises que j’ai contactées me répondent qu’elles ne recrutent plus en 2020, sauf peut-être en fin d’année. Le loyer, lui, n’attend pas décembre.
«C’est démoralisant. Après cinq ans d’études, c’est comme si nos diplômes ne valaient plus rien. La compétition sera très rude entre jeunes diplômés, sans parler de tous les demandeurs d’emploi qui étaient déjà en recherche avant le confinement. Heureusement, l’université a accepté de nous conventionner jusqu’à décembre. Ce qui se profile dans mon cas, c’est un job alimentaire jusqu’en septembre puis un stage, je l’espère. Ce n’est vraiment pas ce qu’on imagine comme débuts dans la vie professionnelle après un master, mais je relativise, nous sommes tous en difficulté.»
«Mes exigences baissent au fil du temps»Paul, 24 ans, consultant junior à Béziers, autoentrepreneur faute de mieux
«En février, j’ai posé ma candidature à un poste de consultant dans une agence de communication spécialisée dans l’événementiel. J’ai passé un entretien, puis des tests. Mais en mars, une semaine avant le confinement, la personne qui se chargeait du recrutement m’a annoncé, gênée, que j’avais bien réussi les tests mais que l’agence renonçait à embaucher. Le groupe auquel l’entreprise appartenait sentait le vent tourner. Des contrats étaient remis en cause. J’ai repris mes recherches. D’habitude, il y a des offres assez nombreuses dans la com. Le roulement est très important sur ces postes. Mais là, pendant le confinement, il y avait de moins en moins de propositions.
«J’ai eu un entretien dans une agence de pub, mais ça ne correspondait pas tout à fait à mon profil et ils ne m’ont pas pris. Récemment, j’ai pris le statut d’autoentrepreneur pour essayer de travailler en freelance, parce que j’ai conscience que pour des grandes entreprises, ce n’est pas simple d’embaucher en ce moment. Puis ça me permettra de combler le vide qu’il pourrait y avoir sur mon CV. Malgré mes deux masters, un stage de six mois de chargé des relations presse et mon expérience de chargé de communication en alternance, mes exigences baissent au fil du temps. L’activité repart lentement et on est soumis à une concurrence plus rude qu’avant. Entre ceux qui arrivent avec leur diplôme et ceux qui ont perdu leur emploi, il y a du monde !»
«Le moral ça va, moins sur le plan financier»Océane, 22 ans, bac pro réalisation de produits imprimés, en recherche d’emploi à Lille
«Le Covid, c’est la faillite. J’ai vécu cette période avec l’argent que j’avais mis de côté pour partir en vacances. Trois jours avant le confinement, mes allocations chômage se sont arrêtées. Il ne me manquait que trois jours de travail pour avoir droit à l’allocation de retour à l’emploi. Je n’ai eu que quatre mois de chômage, pourtant j’ai travaillé un an et demi, mais que des petits boulots. J’ai un bac pro en réalisation de produits imprimés, mais j’ai dû tout de suite commencer à travailler, pas le choix. J’ai passé un diplôme d’auxiliaire de vie, je l’ai été quatre à cinq mois mais c’était trop dur mentalement et physiquement. Après, j’ai bossé en même temps à KFC et pour une entreprise de nettoyage, ensuite pour une boutique de vêtements et de chaussures de sport. Ils étaient prêts à me prendre en CDI mais j’ai eu un accident, j’ai été renversée par une voiture en sortant du travail, en novembre. J’ai été en arrêt maladie pendant une semaine, puis j’ai repris, mais c’était trop dur, j’avais le dos en compote. J’ai préféré démissionner.
«Avec la mission locale, j'ai postulé pour le Leclerc qui va ouvrir à Lillenium [grand centre commercial lillois, ndlr]. Fin février, ils m'ont contactée pour la fin de la sélection. Depuis, plus de nouvelles. Pareil pour l'agence d'intérim qui m'a appelée deux jours avant le confinement pour une place chez Decathlon. Le moral, ça va, je sais me motiver seule, mais sur le plan financier, c'est pesant.»
Louis, en fin de master à Nice.
Photo Laurent Carré
«On a un bac + 5, mais il va falloir faire des sacrifices»Louis, 26 ans, Nice, en fin de master droit du risque et développement durable
«Je n’ai pas encore engagé de démarches concrètes pour trouver un emploi. Pour le moment, je fais de la veille mais quand je cherche sur Internet, je ne vois rien qui me correspond. Je suis quasi-diplômé, il ne me reste plus qu’à rendre le mémoire. Avec mon master, je peux travailler dans une collectivité ou dans le privé. Ça peut être de la gestion du risque naturel pour une mairie, travailler pour une assurance, dans une entreprise pour optimiser la politique sociale… C’est ouvert à l’imagination : les juristes s’adaptent à tous les domaines. Mais ce n’est pas un secteur où il est hyper simple de trouver un emploi. Il y a un phénomène de surclassement des diplômes et de non-gratification des stages. Et avec la crise sanitaire, les perspectives ne sont pas réjouissantes.
«Dans ma promo, à part ceux qui font un doctorat, la plupart s’interrogent sur leurs perspectives d’embauche. Les gens vont s’accrocher comme jamais au moindre emploi qu’ils vont trouver, quitte à faire des concessions. C’est inquiétant car on a tous fait des efforts dans nos études. On a un bac + 5 mais il va falloir faire des sacrifices. J’ai vu passer dans des médias le surnom de «génération Covid» ou de «génération maudite». Alors on se dit que ça va être très compliqué. J’ai mes parents qui peuvent m’aider. Ce sera plus compliqué pour d’autres étudiants qui devront prendre un job alimentaire. C’est tellement frustrant.»
Sylvain, détenteur d’une promesse d’embauche, à Lille.
Photo Aimée Thirion
«Pendant cette période, il fallait montrer sa volonté de travailler»Sylvain, 24 ans, conseiller de vente à Lille, a une promesse d’embauche
«Moi, ça m’a bouffé de rester confiné. Cela m’a bloqué dans des opportunités de travail. J’ai passé deux entretiens d’embauche juste avant le confinement, l’un le lundi l’autre le mardi, et les deux magasins étaient prêts à me prendre. Mais après l’annonce du Premier ministre, ni l’un ni l’autre ne m’ont donné de nouvelles. J’ai passé une semaine à bien flipper. Cela faisait un an et demi que je cherchais du travail, en parallèle d’un projet pour monter ma propre entreprise : un site internet de prêt-à-porter féminin, avec des conseils personnalisés, pour ensuite créer ma propre marque. Je suis sorti en 2017 de l’Esmod de Roubaix, avec un diplôme en deux ans de designer de mode, mais comme c’était assez bouché, je me suis réfugié dans le domaine qui offrait un peu plus d’opportunités, la vente de détail. Pendant cette année et demie, je suis resté au chômage : les employeurs voyaient d’un mauvais œil le fait que je veuille créer mon entreprise. Alors ça m’angoissait que l’on puisse me dire "on ne te prend pas à cause du Covid, même si on t’a apprécié pendant l’entretien".
«J’ai fini par aller chercher des nouvelles par moi-même, j’ai été jusqu’à Facebook pour retrouver les responsables des deux magasins. Pendant cette période, c’était bien, je pense, de montrer sa volonté de travailler. Je n’ai eu un retour que de Destock Jeans, et la responsable m’a signé une promesse d’embauche pendant le confinement. Je voulais être rassuré, elle a accepté avec gentillesse. J’attends maintenant ma prise de poste pour la fin juin.»
Vladimir, barman en quête d’emploi, à Bordeaux.
Photo Rodolphe Escher
«J’avoue être complètement paumé»Vladimir, 23 ans, a perdu son emploi de barman à Bordeaux
«Il y a encore trois mois, j'avais un CDI dans un bar à cocktails à Bordeaux. Mais le confinement est venu tout bousculer. Résultat, la saison reprend et moi, je me retrouve sans emploi, ni indemnités. J'avoue être complètement paumé. Avec mon diplôme en hôtellerie et ma formation de barman, je travaille depuis 2016. Dans la restauration, c'est assez simple de trouver du travail d'habitude, il y a toujours du turnover. Ça faisait six mois que j'avais décroché un CDI et une connaissance m'a parlé d'un bon plan dans un hôtel à Bordeaux. J'ai passé un entretien et ils m'ont promis une embauche à l'oral début avril. Malgré le confinement. Ils m'ont assuré : «On te met en chômage partiel et dès que les bars rouvrent, tu commences.» J'ai donc donné ma démission. Ce n'était pas un coup de tête, c'est courant dans le milieu de bouger. Et surtout les conditions de salaire, les horaires et le cadre étaient bien meilleurs. Donc j'ai foncé.
«Problème, Pôle Emploi n’a pas accepté le chômage partiel car je n’avais pas commencé mon nouveau job. Avec du recul, je regrette que l’employeur ne se soit pas mieux renseigné. Il m’a ensuite promis de me prendre en juin. J’ai espéré, mais la saison commence très lentement, ils n’ont pas besoin d’un saisonnier dans l’immédiat. Je ne leur en veux pas. J’ai l’impression d’avoir été au mauvais endroit au mauvais moment. Je relativise en me disant qu’il y a pire. Ils veulent me prendre dès que ça repartira, mais je ne peux pas me permettre d’attendre. J’ai mon loyer, un crédit, des factures à payer. Pas un jour sans que je ne dépose un CV. Mais je ne suis pas le seul. Je croise les doigts pour trouver rapidement car j’ai déjà puisé dans toutes mes économies et ça commence à être compliqué.»