Menu
Libération
Récit

Racisme dans la police : les messages qui accablent

Violences policières, une colère mondialedossier
Alors que le préfet de police de Paris et le ministre de l’Intérieur multiplient les prises de parole pour défendre l’institution, des enquêtes de «Mediapart», Arte Radio et «StreetPress» mettent au jour des échanges de membres des forces de l’ordre sur WhatsApp et Facebook.
Mardi, à la manifestation contre les violences policières devant le tribunal de grande instance de Paris. (Photo Stéphane Lagoutte. MYOP)
publié le 5 juin 2020 à 20h31

Racisme, sexisme, antisémitisme, éloges du suprémacisme blanc et de la «guerre raciale» au menu de conversations entre policiers. Deux enquêtes publiées coup sur coup et signées, l'une de Mediapart et d'Arte Radio, l'autre de StreetPress, documentent des cas bien concrets de racisme au sein des forces de l'ordre. Deux jours plus tôt, au soir d'un grand rassemblement à Paris en soutien à la famille d'Adama Traoré, mort en 2016 lors de son interpellation par des gendarmes dans le Val-d'Oise et en hommage à George Floyd, tué fin mai par un policier blanc à Minneapolis, le préfet de police de Paris, Didier Lallement, faisait pourtant part de son soutien sans faille aux policiers face aux «accusations de violence et de racisme», tandis que le ministère de l'Intérieur assure à répétition qu'il n'y a pas de racisme dans la police.

La première enquête, publiée jeudi matin, exhume des faits qui remontent à décembre 2019. Paris-Normandie et le site 76Actu faisaient état, dès janvier, de messages à caractère discriminatoire et diffamatoire échangés sur un groupe WhatsApp privé comptant onze membres et découvert par Alex, un policier noir de 43 ans en poste à l'unité d'assistance administrative et judiciaire de Rouen. Les Noirs y sont qualifiés de «nègres», les Arabes de «bougnoules», les homosexuels de «pédés», et les juifs de «fils de pute» qui «dirigent le pays en compagnie des gauchistes».

«Enkystée»

Racontés par Mediapart et regroupés dans un podcast par Arte Radio, certains messages, particulièrement violents, sont teintés d'une nostalgie du nazisme assumée et fantasment une «guerre civile raciale». Des membres affirment avoir stocké des armes : «Je n'ai plus envie de sauver les gens. Je me dis que tous ces gens doivent crever. Ça régénérera l'espèce humaine et surtout la race blanche.» Les policiers s'attaquent aussi aux «filles qui aiment bien les bâtards» : «En Angleterre ou en Allemagne, c'est pas comme ça, tu éduques ta fille pour qu'elle continue dans la race aryenne.» Des mémos vocaux de ses collègues visent personnellement Alex, qualifiant par exemple son activité au palais de justice de Rouen de «travail de nègre».

Parmi les onze membres de la conversation, six, particulièrement virulents dans leur logorrhée, sont visés par une plainte déposée par Alex pour «provocation non publique à la discrimination» et «diffamation non publique en raison de l'origine, l'ethnie, la nationalité, la race ou la religion». Contactée par Libé, l'avocate d'Alex, Yaël Godefroy, explique que son client a «été victime de racisme toute sa vie mais [que] cette affaire a été la goutte d'eau, ou plutôt le tsunami, qui a fait déborder le vase». S'il ne veut pas «devenir un symbole», Alex souhaite «ouvrir un débat sur le racisme dans la police». «Il aime son métier et ne dit pas que tous les flics sont pourris, mais que ce n'est pas non plus exceptionnel», résume son avocate.

Depuis la parution de cette enquête, la Direction générale de la police nationale (DGPN) a indiqué que les six policiers de Rouen étaient renvoyés en conseil de discipline, en conclusion d'une enquête disciplinaire engagée dès le dépôt de plainte d'Alex. L'enquête préliminaire ouverte en janvier par l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) est toujours en cours. Interviewée à ce sujet vendredi matin sur BFM TV, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a déclaré que «si les faits sont avérés, c'est inadmissible, et ce n'est pas le reflet de la police française». Tandis que, dans le Parisien de jeudi, le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, déclarait que «la police en France n'est pas raciste». «Quand j'ai su ça, il y a plusieurs mois, d'office, j'ai dit à mes deux adhérents concernés que je ne les défendrais pas, indique de son côté Frédéric Desguerre, responsable régional du syndicat majoritaire Unité-SGP. Je les ai invités à aller voir un avocat. En Normandie, ça fait deux fois qu'on a un dossier comme ça en une dizaine d'années, on a toujours géré ça correctement.» Pour Dominique Sopo, le président de l'association SOS Racisme, cette «problématique extrêmement lourde du racisme dans la police est d'autant plus enkystée qu'on observe une vraie défaillance dans la parole gouvernementale. On laisse se mettre en place des ambiances délétères, qui renvoient à des visions folkloriques et dégradées des minorités.»

«Naufrage»

Jeudi soir, c'était au tour du média en ligne StreetPress de publier une enquête qui révèle l'existence d'un groupe Facebook intitulé «TN Rabiot Police Officiel», créé en 2015 et fréquenté par plus de 8 000 personnes : «Des policiers principalement (ou se présentant comme tels), et quelques gendarmes et membres de familles de fonctionnaires». Les posts et commentaires racistes y sont monnaie courante. Captures d'écran à l'appui, StreetPress raconte qu'il contient «des centaines de messages racistes, sexistes ou homophobes, et des appels au meurtre». Des policiers se moquent de la mort de Zyed Benna et de Bouna Traoré en 2005 et de celle de Sabri Chouhbi à Argenteuil le 17 mai. L'un des membres y traite de «pute» la chanteuse Camélia Jordana après qu'elle a dit ne pas se sentir en sécurité face à la police dans On n'est pas couché. La manifestation contre les violences policières de mardi est aussi commentée. Sous une photo du rassemblement, StreetPress relève qu'un «membre de la Direction départementale de la sécurité publique de Lyon» s'amuse : «C'est un peu comme le naufrage d'un pétrolier.» Si l'enquête note qu'on trouve des voix dissonantes dans le groupe, elle affirme qu'elles sont vite réduites au silence. «On n'a pas besoin de fragiles dans la boîte», résume l'un des commentaires. Après les révélations de StreetPress, Christophe Castaner a saisi le parquet de Paris vendredi. «S'ils sont avérés, ces propos inacceptables sont de nature à porter gravement atteinte à l'honneur de la police et de la gendarmerie nationales, dont les hommes et les femmes sont engagés au quotidien pour protéger les Français, y compris contre le racisme et les discriminations», précise l'entourage du ministre de l'Intérieur. Le parquet a annoncé l'ouverture d'une enquête