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Libération
reportage

En France, les jeunes aux avant-postes

Violences policières, une colère mondialedossier
Après la mort de George Floyd, les appels à manifester se sont multipliés sur les réseaux sociaux. Dans les villes françaises, c’est la jeunesse qui s’est mobilisée.
Manifestations en hommage à George Floyd et contre les abus des forces de l'ordre le samedi 6 juin 2020, champ de Mars à Paris. (Photo Stéphane Lagoutte)
publié le 7 juin 2020 à 20h41

Il n'a fallu qu'une poignée de jours après la mort de George Floyd pour que l'indignation se propage et que les jeunes se mobilisent. Avec, en France, cette référence : Adama Traoré, mort à la gendarmerie de Persan (Val-d'Oise) après son interpellation à Beaumont-Sur Oise en 2016. «Même si je n'ai jamais eu de lien avec lui, on a eu l'impression de perdre un être cher avec Adama», avance Isaac, 21 ans, qui manifestait pour la première fois, mardi, devant le tribunal judiciaire de Paris, avec 20 000 personnes à ses côtés. Et d'ajouter : «Cela fait quelques années que les gens se réveillent. Les gilets jaunes, les quartiers, etc. Mais si tout le monde se lève pour ça, alors j'ai espoir que les choses changent.»

Diffusés massivement sur Internet, les appels à prendre la rue sont devenus viraux via des applications telles qu'Instagram, Snapchat, Twitter ou Facebook. Beaucoup de jeunes ont participé cette semaine à leur première manifestation. Samedi, plus de 23 000 personnes étaient encore rassemblées sur le territoire, dont près de 5 500 à Paris. Lors du premier appel, mardi dans le XVIIe arrondissement de la capitale, le plus spontané et le plus massif, ils étaient déjà là, nichés sur des préfabriqués, des Abribus, ou bien au cœur de la foule, dégainant leur smartphone pour immortaliser la scène et partager leur expérience sur les réseaux. Pour en être ? Pour s'indigner ? Pour jeter les bases d'un réveil citoyen ? Pour semer les graines d'un monde juste ? Jérémy, 21 ans, et Sebe, 18 ans, ont répondu présent pour saluer le «courage et la détermination» d'Assa Traoré, la sœur d'Adama, qui réussit, quatre ans après les faits, à mobiliser ceux qui étaient alors ados dans sa quête de justice. «Je me suis déplacé de Seine-et-Marne exprès, pointe Sebe. On est touchés par son discours. Elle a tout mon respect. Elle sera un jour dans les manuels scolaires.»

«Filmer est devenu une arme»

Samedi, place de la Concorde et au pied de la tour Eiffel, les cortèges étaient garnis de jeunes. Certains affichaient leur appartenance à des mouvements de désobéissance civile écologistes, comme Extinction Rebellion, d'autres revendiquaient une révolte contre les violences policières, arborant sur leur tee-shirt les noms de victimes, Adama Traoré ou Sabri Choubhi, mort le 16 mai à moto dans les rues d'Argenteuil, près de Paris, après avoir croisé le chemin d'une voiture de la BAC. Sur les réseaux, les publications bardées du hashtag #BlackLivesMatter sont légion depuis deux semaines. Nés après la révolution numérique, ces jeunes se disent «choqués» par la vidéo de la mort de Floyd. Mais rappellent que le confinement a vu fleurir son lot de vidéos de violences policières, de saillies racistes et de contrôles discriminatoires. Ils s'immergent dans les débats et s'indignent ainsi contre la proposition de loi déposée par le député LR Eric Ciotti pour empêcher la captation et la diffusion d'images de la police. En écho au patron de la droite, Christian Jacob, qui a lâché dimanche que «les violences policières n'existent pas», leurs pancartes brandissent des «Le vrai virus, c'est le racisme» ou «No justice, no peace».

Alexia, 29 ans, membre du collectif Filles de blédards, venue de Paris à Marseille : «Je ne suis pas étonnée que ça explose maintenant. J'ai beaucoup suivi ce qui tournait sur Internet ces trois derniers mois. Filmer est aussi devenu une arme. Ça m'a permis de voir que les flics ont profité du confinement pour prendre plus de liberté.» Comme à Paris, les jeunes tiennent ici majoritairement les rues. Venu avec deux amis, Charlie, 18 ans, étudiant en sciences à Marseille, un carton «Black Lives Matter» dans les mains : «Sur mon fil Facebook, ça défile toute la journée depuis quinze jours. Des images de violences partout dans le monde. Du petit Gabriel de 14 ans qui a failli perdre son œil [à Bondy lors de son interpellation par les forces de l'ordre, ndlr] et d'autres histoires plus anciennes que je ne connaissais pas.» Ils évoquent aussi les révélations, jeudi, d'Arte Radio et de Mediapart sur les échanges racistes et fascistes de policiers de Rouen sur un groupe WhatsApp. «Bien sûr que j'étais sensible au sujet avant, mais cette fois-ci c'est trop, souffle Charlie. On ne peut pas ne pas se sentir concerné, j'en ai trop vu.»

«On doit se bouger»

Nadia, 20 ans, parle ainsi d'un effet de saturation autant que de sidération. D'un sursaut vital. «Sur les réseaux, on voit passer des images de violences policières partout dans le monde, comme celles où l'on voit des policiers américains pousser une personne âgée.» C'était jeudi, à Buffalo, un homme de 75 ans est projeté au sol, sérieusement blessé. «On doit faire quelque chose, se bouger. Parce que ça fera peut-être bouger les mentalités.» Mardi, jour de ses funérailles, se tiendra un hommage à George Floyd. Huit minutes et quarante-six secondes de silence seront respectées, le temps pendant lequel l'homme de 46 ans a eu la gorge écrasée par un genou policier. Avec une jeunesse mobilisée en première ligne.