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Analyse

Violences policières : beaucoup de promesses, mais peu de concret

Violences policières, une colère mondialedossier
Une seule mesure, sur l’abandon de la clé d’étranglement, ressort des annonces du ministre de l’Intérieur, qui a botté en touche sur de nombreux sujets.
Christophe Castaner annonce, lundi en conférence de presse, l’abandon des techniques d’étranglement. ( Photo Isa Harsin. AFP)
publié le 8 juin 2020 à 20h51

Emmanuel Macron a donc sommé Christophe Castaner d'accélérer sur des mesures renforçant la déontologie des forces de l'ordre… A l'arrivée, les avancées semblent plutôt maigres. Une promesse : «Une réforme en profondeur des inspections du ministère de l'Intérieur» - dont l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) - pour «plus d'indépendance». Une mission : sur les actes et propos racistes dans la police ces trois dernières années. Une mesure concrète : l'interdiction des clés d'étranglement, mais pas du plaquage ventral, au cœur des affaires Traoré et Chouviat. Et rien sur le LBD, dont les tirs peuvent provoquer des mutilations maintes fois documentées.

Sur le racisme

A l'image des éléments de langage martelés par les membres du gouvernement, Castaner l'a assuré : «Je refuse de dire que l'institution est raciste. Mais oui, il y a des policiers racistes.» Et d'ajouter : «Le racisme n'a pas sa place dans notre société et encore moins dans notre police républicaine.» Difficile de ne pas le reconnaître, alors que les révélations en cascade sur les saillies racistes dans des groupes Facebook ou WhatsApp ont poussé le ministre de l'Intérieur à évoquer, jeudi, une «sanction» pour «chaque faute, chaque excès, chaque mot, y compris des expressions racistes» au sein des forces de l'ordre. Et le parquet de Paris à ouvrir, le lendemain, une enquête préliminaire, confiée à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP), pour «injure publique à caractère raciste» et «provocation publique à la haine raciale». Pas de mesure forte, in fine : Castaner rappelle que chaque policier doit «signaler» tout comportement raciste ou discriminant, qu'une suspension «soit systématiquement envisagée pour chaque soupçon avéré d'acte ou de propos raciste» et évoque le lancement d'une «mission» sur le sujet confiée au déontologue du ministère de l'Intérieur.

Sur les techniques d’interpellation

Fini la clé d'étranglement, qui «peut causer des dommages graves», admet Castaner. «La méthode de la prise par le cou, dite de l'étranglement, sera abandonnée. Elle ne sera plus enseignée dans les écoles de police et de gendarmerie.» Cette technique de compression de la nuque et du pharynx était fustigée. Le plaquage ventral, au cours duquel une compression thoracique est possible, reste tout de même autorisé. Castaner estime qu'il ne s'agit pas d'une «technique» en soi, qu'il n'avait pas à l'interdire, et qu'il faut accepter «l'idée que pour interpeller une personne et pour la menotter, il faut la coucher au sol». Ce geste d'immobilisation, aussi appelé «décubitus ventral», dénoncé par plusieurs ONG, est au cœur des débats qui entourent, entre autres, la mort d'Adama Traoré, en 2016, et celle, plus récente, de Cédric Chouviat en janvier. Elle «revient à plaquer et maintenir une personne ventre au sol, tête tournée sur le côté» et «entrave fortement les mouvements respiratoires et peut provoquer une asphyxie positionnelle», selon un rapport de l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (Acat) publié en 2016.

Sur les inspections

L'heure est-elle venue d'une IGPN et d'une IGGN réellement affranchies de la tutelle du ministère de l'Intérieur ? Clairement, non. C'est peu dire qu'une réforme de ce type rencontrerait un écho très favorable parmi les ONG, les avocats, et les militants qui dénoncent sans relâche les violences policières. Aujourd'hui, ces deux inspections, chargées de la déontologie et des enquêtes dans les maisons police et gendarmerie, sont inféodées à la Place Beauvau qui continue, entre autres, de nommer leurs chefs, de leur allouer un budget ou de décider de leur communication. Si cela n'empêche pas les deux services de mener des enquêtes pugnaces, cet organigramme ne permet pas un véritable contrôle indépendant. Une émancipation sur le modèle de l'IOPC britannique redonnerait, selon plusieurs chercheurs, du crédit au contrôle de l'action des forces de l'ordre. Toutefois, Christophe Castaner n'a pas détaillé ses souhaits et son ambition sur le sujet, et s'est contenté de propos très généraux : «Une réforme en profondeur des inspections du ministère de l'Intérieur», pour «plus d'indépendance». Seule certitude : un renforcement du rôle de l'Inspection générale de l'administration (IGA), qui pourra «piloter les enquêtes administratives les plus difficiles et les plus complexes» concernant les forces de l'ordre. Ce qu'elle fait déjà parfois… Une IGA qu'il souhaite à l'avenir «plus représentative de la société», mais toujours dépendante du ministère de l'Intérieur.

Sur le numéro RIO

Pour permettre l'identification des agents dans les enquêtes, Christophe Castaner s'en tient à des rappels. Le numéro RIO (sept chiffres en petits caractères propres à chaque agent), créé en 2014, est «obligatoire». Depuis des années pourtant, son port n'est souvent pas respecté lors des opérations de maintien de l'ordre, mais aucune mesure n'a été prise à ce propos. Tandis que, lors du mouvement des gilets jaunes, de très nombreuses procédures judiciaires n'ont pu aboutir faute de pouvoir retracer l'usage des armes ou de reconnaître les policiers auteurs des violences. A l'étranger, certaines polices utilisent à l'inverse un numéro d'identification bien visible.

Sur les contrôles au faciès

Un des points les plus sensibles sur la discrimination et qui suscite toujours autant de questions reste sans réponse. L'Etat a en effet été condamné pour faute lourde, par la cour d'appel de Paris en mars 2015, jugement confirmé par la Cour de cassation le 9 novembre 2016. Pour le Défenseur des droits, Jacques Toubon, qui a livré lundi son dernier rapport, les contrôles au faciès demeurent pourtant «une réalité sociologique». En 2017, son institution publiait une enquête qui confirmait que les contrôles d'identité visaient surtout des jeunes hommes issus des minorités, qui ont 20 fois plus de probabilités d'être contrôlés. 80% des personnes correspondant au profil de jeune homme perçu comme noir ou arabe ont déclaré avoir été contrôlées dans les cinq dernières années, contre 16% pour la population générale. Les associations de droits de l'homme militent pour un récépissé qui permettrait de retracer les contrôles. En l'espèce, Castaner botte en touche. Il se dit prêt «à retenir beaucoup des préconisations» faites dans le rapport du Défenseur des droits, mais s'abrite derrière les réserves de la Cnil sur la question d'un «fichier» des personnes contrôlées. La création d'un tel fichier nominatif n'est pourtant pas la seule option, loin de là, pour mettre en place des récépissés : déjà en 2012, le Défenseur des droits préconisait ainsi l'utilisation de reçus anonymisés.