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Libération

Lille : Aubry solo sous la menace écolo

Dans la métropole nordiste, la maire sortante PS a refusé l’union avec la liste EE-LV, faisant le pari risqué d’une mobilisation des quartiers populaires.
Martine Aubry, à Lille, le 25 février. ( Photo Aimée Thirion)
par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille
publié le 8 juin 2020 à 18h56

Malgré le grignotage de son hégémonie locale, Martine Aubry, maire socialiste de Lille depuis 2001, part finalement seule à la bataille du second tour. En lice pour son quatrième mandat, l'ancienne première secrétaire du PS a fait nettement moins bien au premier tour que lors des précédentes élections : 46,02 % en 2008, année triomphante, 34,9 % en 2014 et 29,8 % le 15 mars dernier. Venu samedi en voisin soutenir la candidate LREM à Lille, Violette Spillebout, Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des Comptes publics, et maire de Tourcoing, a le tacle sévère : «Nous avons un score de la maire sortante qui est très bas, à moins de 30 % des voix. Elle a été désavouée par sa population.» Martine Aubry fait cependant la course en tête, dans une triangulaire qui la verra face à Violette Spillebout (17,5 %), son ancienne directrice de cabinet passée à la majorité présidentielle qui a siphonné l'électorat de centre droit, et aux Verts qui réalisent leur meilleur score, avec 24,5 %. «Violette Spillebout n'a aucune chance arithmétiquement parlant», calcule Marc-Philippe Daubresse (LR), candidat de la droite traditionnelle, battu dès le premier tour. Il n'a pas digéré le refus de Spillebout de faire alliance avec lui, et appelle par conséquent à l'abstention ou au vote blanc le 28 juin.

Compétition. Le match se jouera donc entre Aubry et ses anciens alliés écologistes, emmenés par Stéphane Baly. La maire de Lille n'a que cinq points d'avance sur ce concurrent avec qui elle a refusé de faire alliance, contrairement à la tradition électorale locale. Et encore, elle doit ce petit filet de sécurité aux communes associées, Hellemmes et surtout Lomme, qui a voté massivement pour elle, à 34,1 %. Sur Lille intra-muros, Martine Aubry est talonnée par EE-LV, à 28,8 contre 26,2 % des suffrages.

La compétition entre les deux anciens partenaires est rude, ce qui profite à Violette Spillebout. Elle trouve navrant «le spectacle de ceux qui ont gouverné la ville ensemble pendant dix-neuf ans et qui s'entre-déchirent publiquement».

Du côté de Martine Aubry, l'analyse est simple : le coronavirus a privé la maire des apports de voix habituels des quartiers populaires, à Lille-Sud et Faubourg de Béthune. Les résultats du 15 mars, avec une abstention à 67,4 %, ne refléteraient donc pas le véritable rapport de force. Pierre Mathiot, politologue, confirme : «Il y a eu 80 % d'abstention dans des bureaux qui votent normalement à 80 % pour Aubry.»

D'où le refus de la sortante d'engager les discussions avec les Verts sur la base d'une répartition des sièges à la proportionnelle, qui lui aurait fait perdre sa majorité absolue au conseil municipal. Marc-Philippe Daubresse compatit : «Les Verts ont été odieux avec elle. C'est comme s'ils lui avaient dit : "Martine, vous gouvernez sous contrôle, avec une minorité de blocage." Elle a 69 ans, elle n'avait pas envie d'être sous tutelle.» Reste qu'à cause de cette mésentente, Martine Aubry n'a pas partie gagnée. «Quand elle dit "l'électorat populaire ne s'est pas déplacé pour moi", on a l'impression d'entendre le disque rayé de 2014», raille Stéphane Baly.

Car déjà, l'abstention a été forte il y a six ans, à 53 % au premier tour, seize points de plus que la moyenne nationale. Marc-Philippe Daubresse est sceptique sur le regain de participation espéré le 28 juin : «Sur le terrain, les gens nous disent qu'ils s'en foutent, des élections» après trois mois de crise sanitaire et une crise économique sans précédent qui commence. Et sans les quartiers populaires, les réserves de voix d'Aubry sont maigres. Celles des Verts ne sont pas meilleures. D'où l'enjeu : vers qui se tourneront les électeurs de La France insoumise, qui a récolté 8,8 % des voix au premier tour ? Julien Poix, tête de liste LFI, qui se réserve le droit de prendre la parole sur le sujet d'ici la fin de la campagne, sourit : «Les gens vont aller vers la stabilité, c'est le professeur d'histoire qui parle.»

Point faible. C'est aussi ce que pense Marie-Pierre Bresson, maire adjointe d'Aubry venue des rangs écolos : «Les gens sont rassurés par cette attention qu'elle porte à l'ensemble des habitants.» Une prolongation du «care», cette politique du soin portée aux plus fragiles, que l'ancienne ministre du Travail porte depuis des années, que le Covid-19 a remis au goût du jour. «Il y a dix ans, cela paraissait un peu mollasson. La réalité aujourd'hui, c'est qu'on a absolument besoin des gens les plus vulnérables et les moins bien payés», poursuit l'élue. Mais, pour séduire les électeurs écolos plus largement, la politique environnementale reste le point faible de la majorité sortante. Et Martine Aubry le sait. Elle vient donc de publier dans le Journal du dimanche, un appel à la reconstruction écologique.

«C'est une erreur, estime Daubresse. Faire du Canada Dry renforce toujours l'autre camp.» Le politologue Pierre Mathiot l'aurait plutôt vue écrire une tribune sur la pauvreté et le chômage, pour mobiliser les classes populaires dont elle a besoin. «Martine Aubry fait un pari de continuité. Elle voit les électeurs comme des gens qui ont fait l'ENA, qui regardent son bilan, plutôt bon, la manière dont elle a géré la crise, sa capacité de rester calme au milieu de la tempête. Mais une élection n'est pas rationnelle, encore moins dans le contexte d'aujourd'hui.» Si le 28 juin était marqué par une vague verte au niveau national, elle pourrait bien déborder jusqu'au beffroi de Lille.