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Libération
Récit

Cours particuliers : une aide aux plus aisés

Les parents, inquiets du retard pris par leur enfant à cause du confinement, ont davantage payé de cours particuliers. Ces familles, la plupart du temps déjà favorisées, profitent en plus d’un crédit d’impôt.
Ecole à distance pendant le confinement, à Toulouse. (Photo Maxime Leonard. Hans Lucas)
publié le 11 juin 2020 à 20h16

Sur les sites des groupes privés de soutien scolaire, le cadeau fiscal est annoncé en gras depuis deux mois : «Dans le contexte actuel, les cours à distance bénéficient de 50 % de crédit d'impôt sur le coût horaire.» Cette ristourne fiscale existait déjà pour les cours particuliers à domicile, elle a été étendue au soutien scolaire à distance le 22 mars, au début du confinement, par le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin. Une mesure «exceptionnelle et temporaire» mais lourde de sens. Dans une période de bouleversements sans précédent de l'école, le gouvernement a fait le choix de soutenir les cours particuliers privés, pour préserver un marché d'environ 2 milliards d'euros largement dirigé vers les élèves issus de milieux favorisés.

«Ce crédit d'impôt nous a permis d'ouvrir nos produits à un maximum de gens, plaide Philippe Coléon, le président d'Acadomia. Avec les cours à distance nous pouvons toucher des nouveaux publics, des familles qui vivent loin de nos centres et pour lesquelles il est trop cher de faire venir des enseignants à domicile.»

Avec le confinement, son entreprise, qui suit 100 000 élèves par an, a vu changer les inquiétudes des parents. «On a perdu des élèves de première et de terminale qui préparaient le bac, mais on a vu arriver beaucoup plus d'enfants en fin de primaire ou en début de collège, détaille Philippe Coléon. A la sortie du confinement, les inscriptions d'enfants en primaire ont doublé en quelques semaines. Les parents s'inquiètent du niveau de leurs enfants, ils veulent qu'ils arrivent dans de bonnes conditions à la rentrée. On a beaucoup plus de demandes que d'habitude pour des cours pendant l'été.»

12 000 euros par an

Ce coup de boost offert par le Covid - et le gouvernement - au secteur est venu soutenir un marché qui se portait déjà bien. «Le soutien scolaire privé est en forte croissance depuis une dizaine d'années, rappelle Henri Vieille-Grosjean, professeur émérite à l'université de Strasbourg. Il s'appuie sur les angoisses des parents, qui sont devenues plus fortes à mesure que le système scolaire devenait un sas de préparation à la vie professionnelle.»

Autre marqueur de cette tendance, le développement du coaching scolaire. «Les séances ne sont pas basées sur des disciplines scolaires, on n'y fait pas des mathématiques ou du français, explique Anne-Claudine Oller, qui vient de consacrer un ouvrage au sujet (1). Les élèves travaillent sur la motivation et la confiance en soi, ou réfléchissent à leur orientation.» Un accompagnement coûteux qui concerne essentiellement des lycéens ou des étudiants issus des classes moyennes supérieures, selon la chercheuse. «Ce sont souvent des jeunes qui ne sont pas excellents, scolairement parlant. Grâce aux ressources de leurs parents, ils peuvent développer des stratégies scolaires.»

Ce profil aisé recoupe celui des familles qui ont recours au soutien scolaire plus classique. D'après une étude menée en 2016 par le Conseil national d'évaluation du système scolaire (Cnesco), «les élèves qui suivent des cours privés de soutien sont plus souvent issus de familles plutôt favorisés, citadines et peu nombreuses» et sont, pour la plupart, déjà aidés régulièrement à la maison. En clair, avec une ristourne fiscale sur les cours particuliers, qui peut atteindre les 12 000 euros par an et par famille, l'Etat soutient des élèves qui bénéficient déjà de bonnes conditions pour réussir, au détriment d'autres qui font face à plus de difficultés.

«On est dans le cas d'un financement public à bas bruit d'une dépense faite par les particuliers, qui est pourtant d'une ampleur significative, écrit Anne-Claudine Oller dans son ouvrage. En 2006, le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (Cerc) évaluait déjà à 240 millions d'euros annuels le montant de l'aide publique au secteur du soutien scolaire, ce qui représentait presque deux fois et demie le budget du soutien scolaire public et presque le quart de celui des ZEP.»

«Copie de l’école»

Un choix économique contestable, qui s'ajoute à un problème structurel, selon Henri Vieille-Grosjean : «On peut douter qu'un enfant en souffrance à l'école s'épanouisse dans des cours privés, même s'il y avait accès. Le soutien scolaire marchand est une copie de l'école, relève l'anthropologue de l'éducation. Il reproduit le même espace d'immobilité et de silence, et les enseignants sont souvent des étudiants ou des professeurs de l'Education nationale. Son modèle repose sur la survalorisation des données scolaires, on est dans l'idée du perfectionnement.» Loin des besoins des enfants en rupture avec l'école, même s'ils pouvaient y avoir accès.

(1) Le Coaching scolaire, un marché de la réalisation de soi, PUF.