Plus de 20 000 personnes devant le tribunal de Paris le 2 juin, plusieurs milliers dans toute la France le week-end suivant pour dénoncer le racisme et les violences policières, des gilets jaunes et des soignants dans la rue. Depuis la fin du confinement, les manifestations s'enchaînent. Mais cette reprise de la contestation se fait en dépit de l'article 6 du décret du 11 mai qui interdit tout rassemblement de plus de dix personnes sur l'ensemble du territoire français.
Interrogé mardi à ce sujet sur RMC, le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, n'a pas souhaité réaffirmer cette interdiction, sans toutefois la lever. Plusieurs syndicats souhaitent, eux, la suspension immédiate de ce décret. Ils voient en lui «une atteinte à la liberté fondamentale de manifester» et ont déposé trois requêtes devant le Conseil d'Etat. Les arguments de la Ligue des droits de l'Homme, de la CGT et de quatre autres organisations syndicales y ont été entendus ce jeudi au matin.
«Inégalitaire et arbitraire»
«Nous ne pouvons pas attendre, le droit de manifester n'est pas un luxe, c'est le centre de la vie démocratique», résume Paul Mathonnet, l'avocat de la CGT. «On dit aux Français qu'ils peuvent aller à la messe, au café mais pas en manifestation, c'est difficilement acceptable», renchérit Patrice Spinosi, qui défend la Ligue des droits de l'Homme. Ils pointent du doigt un décret qui rend difficile l'organisation de manifestations qui pourtant «ont lieu et auront encore lieu». «L'autorisation permettrait une concertation avec les autorités sur le choix du lieu, le parcours, l'encadrement par les forces de l'ordre», estime Patrice Spinosi.
Une «liasse de contraventions», dressées en manifestation, à la main, Paul Mathonnet dénonce également une interdiction appliquée de manière «inégalitaire et arbitraire». Bien que l'immense majorité des manifestants récents soit venue masquée, tous n'ont pas été traités de la même manière. Le rassemblement en mémoire de Georges Floyd organisé mardi, Place de la République à Paris, par SOS racisme ne s'est soldé par aucune intervention policière tandis que d'autres manifestants, comme ceux de la marche des solidarités du 30 mai, au même endroit, ont reçu des amendes de 135 euros pour «rassemblement interdit».
«Solution médiane»
Les syndicats l'affirment: ils sont aujourd'hui capables d'organiser des rassemblements dans le respect des gestes barrières, en encourageant le port du masque et les distances entre participants. Ils rappellent que ces rassemblements se font à l'air libre, ce qui diminue le risque de propagation du virus. De son côté, Charles Touboul, le directeur des affaires juridiques au ministère de la Santé, assure que l'interdiction est «réexaminée presque tous les jours» par le gouvernement. Présent à l'audience pour exposer les arguments de l'exécutif, il évoque la possibilité qu'elle soit abrogée ou qu'une «solution médiane» soit trouvée dans les prochains jours. Mais «probablement pas avant dimanche», jour de l'allocution d'Emmanuel Macron.
La juge des référés rendra, elle, sa décision au plus tard en début de semaine prochaine, si elle n'est pas doublée par le gouvernement. «On espère que le Conseil prendra une décision, même de principe. Mais si le gouvernement anticipe, il y a un risque de non-lieu à statuer», explique Michaël Ghnassia, l'avocat de SOS racisme. Il n'exclut pas d'attaquer le prochain décret pris par le gouvernement si l'association ne l'estime pas satisfaisant. En attendant, un appel à la mobilisation pour les soignants a été lancé pour le 16 juin par la CGT et Céline Verzetti, venue représenter le syndicat à l'audience, affirme qu'elle «continuera à organiser des manifestations, quel que soit le résultat».