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Libération
Ras-le-bol

Sous le feu des critiques, les flics répliquent

Accusations de racisme, discours de Christophe Castaner, fin de la technique dite de l’étranglement… Se sentant «lâchés» par le pouvoir, les policiers ont manifesté vendredi.
A Marseille jeudi. (Photo Clément Mahoudeau. AFP)
publié le 12 juin 2020 à 20h16

Des menottes et des brassards professionnels jetés à terre. Des banderoles «une seule police : républicaine» ou encore «pas de police, pas de paix» en écho au slogan «pas de justice, pas de paix» brandi lors des mobilisations contre les violences policières en France, mais aussi outre-Atlantique, depuis la mort de l'Afro-Américain George Floyd, tué par un policier blanc. Vendredi matin, à l'appel des syndicats de police (Alliance, Synergie, SICP et Unsa police), les fonctionnaires ont manifesté leur colère grandissante, après les mesures annoncées lundi par le ministre de l'Intérieur. Prônant une «tolérance zéro» contre le racisme au sein des forces de l'ordre, Christophe Castaner avait notamment déclaré l'interdiction de la méthode d'interpellation dite de l'étranglement, et assuré que pour tout «soupçon avéré d'actes ou de propos racistes», une suspension serait «systématiquement envisagée».

Ces propos - vécus «comme la goutte d'eau» - ne passent pas auprès des policiers, qui se sentent depuis «lâchés» par le pouvoir. Ainsi, ils se sont mobilisés, dès jeudi soir puis vendredi matin, devant les hôtels de police ou les préfectures, à Bobigny, Toulouse, Lyon, Marseille, Roubaix, Lille, Rennes ou Paris, pour montrer leur «détermination». A la veille d'un week-end de mobilisation contre les violences policières et le racisme au sein des rangs, ils étaient néanmoins peu nombreux à prendre les Champs-Elysées pour rejoindre la place Beauvau. Un cortège d'une vingtaine de voitures, selon l'AFP, et quelques drapeaux syndicaux. A l'approche du ministère, les policiers ont marqué une minute de silence à la mémoire de leurs collègues décédés ou blessés en service, avant d'entonner la Marseillaise. Sur certaines banderoles, on pouvait lire : «Policiers agressés, qui massacre qui ?»

«Une opération coup de poing symbolique, commente pour Libération Thierry Clair, secrétaire national Unsa police. Nous dénonçons le malaise qui sévit actuellement dans les services, lié au climat ambiant, au soupçon permanent et aux dénonciations à l'encontre de nos collègues.» Et d'insister : «Dire que le problème du rapport entre la police et la population est uniquement le fait de la police, raciste et violente, ce n'est pas vrai. Il y a une intervention de police toutes les sept secondes. Quand on regarde le nombre de signalements faits à l'IGPN (4 792 signalements et 1 460 enquêtes judiciaires confiées en 2019 à la police des polices), on peut se dire quand même… Nous avons droit au respect et à la considération.»

Plusieurs mois de ras-le-bol

Les syndicats, reçus dans l'après-midi par Christophe Castaner, après l'avoir déjà rencontré jeudi, demandent également à ce que le président de la République les reçoive. «J'ai eu le sentiment que le capitaine du navire se barrait en courant à la première houle», commente un officier de police au sujet de Castaner, dont il n'a pas digéré «la remise en question du fonctionnement de la police». Dans son commissariat, les équipes n'ont pas manifesté mais la période actuelle, entre accusations de racisme et «lâchage» du gouvernement, occupe toutes les conversations.

Et la grogne ne date pas d'hier. Dans les rangs, les déclarations du ministre sont venues couronner plusieurs mois d'un ras-le-bol généralisé et d'une longue séquence marquée par une forte mobilisation des forces de l'ordre. Au contexte politico-social tendu vient s'ajouter une fatigue bien ancrée des agents, en première ligne depuis les attentats de 2015, la loi Travail et le mouvement des gilets jaunes. «Le malaise n'est pas nouveau, mais les tensions actuelles, cette médiatisation exacerbée où on pointe les policiers du doigt, c'est trop. Les gars ne se sentent pas bien, ils sont désemparés, démobilisés, avance Thierry Clair de l'Unsa police. Quand vous avez des missions pas simples, des moyens matériels pas toujours adaptés, que vous côtoyez tous les jours la misère et que, derrière, vous faites tant bien que mal votre métier… c'est trop. On n'a jamais nié les problèmes, mais ils sont marginaux. On ne peut pas généraliser.»

«Electriser»

De son côté, le secrétaire général délégué d'Unité SGP Police déplore : «On a l'impression que les décisions sont prises sous la pression de la rue.» Grégory Joron pointe l'interdiction de la clé d'étranglement, mesure qui a particulièrement concentré le mécontentement des syndicats : «Si on enlève ça, on n'a plus de moyen d'interpeller les gens. Est-ce que l'usage du pistolet à impulsion électrique [PIE] sera moins polémique ? On ne va pas électriser tous les gens qui ne veulent pas se laisser faire!» Si Unité SGP Police n'est pas opposé par principe à un usage du PIE, il demande à ce que celui-ci soit d'abord expérimenté. Enfin, si Castaner a manifestement regretté ses propos, d'après les syndicats, la notion de «suspension systématique» a heurté : «Les collègues ont surtout compris qu'on allait les suspendre sans même avoir de faits matérialisés. Cela leur donne une fois encore le sentiment d'être des sous-citoyens, car n'ayant même plus le droit à la présomption d'innocence.»