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Analyse

Les syndicats tentent l’exégèse du Président

Déconfinementdossier
Ambigus, les propos tenus dimanche par le chef de l’Etat suscitent des interprétations variées. L’exécutif reste en tout cas attaché aux accords d’entreprise.
Réunion entre Muriel Pénicaud et les représentants syndicaux, le 9 juin à Paris. (THOMAS COEX/Photo Thomas Coex. AFP)
publié le 15 juin 2020 à 19h56

Il faudra «travailler et produire davantage» : en entendant Emmanuel Macron prononcer ces mots dimanche soir, lors de son allocution télévisée, de nombreux salariés ont dû se demander ce que le chef de l'Etat avait précisément en tête. Car aux dernières nouvelles, et après un ballon d'essai lancé par le Medef durant le confinement, l'exécutif excluait toute nouvelle mesure d'augmentation du temps de travail. Pas plus qu'il n'envisage d'ailleurs d'ouvrir la boîte de Pandore d'un «Grenelle des salaires». Il ne s'agira donc pas d'une réédition du fameux «travailler plus pour gagner plus» lancé par Nicolas Sarkozy en 2007. Alors qu'a donc voulu dire le Président ? Lundi matin, sur RTL, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, en était réduit à tâtonner entre deux interprétations possibles, dont il tirait des conclusions opposées : «Si le travailler plus, c'est le travailler tous et mieux, on peut le comprendre, on peut discuter. Mais si c'est juste ceux qui vont garder leur travail qui vont devoir travailler plus longtemps, c'est inepte.»

«Le moment ou jamais»

Rien de très nouveau dans cet avertissement. Depuis plusieurs semaines déjà, l'ensemble des organisations syndicales le martèlent : la relance économique ne saurait passer ni par une baisse des salaires, laquelle entraverait la reprise de la consommation, ni par une hausse du temps de travail, laquelle fermerait davantage l'accès à l'emploi au moment même où se profilent «des faillites et des plans sociaux multiples» - pour reprendre les mots d'Emmanuel Macron. Laurent Berger a d'ailleurs rappelé lundi matin qu'un des principaux enjeux des prochains mois serait l'entrée dans le monde du travail de 700 000 jeunes.

Alors, que faire ? Aux yeux d'une centrale comme la CGT, c'est assez simple : plutôt que de travailler plus, le moment est venu de travailler moins. Alors que des discussions avec les partenaires sociaux sont en cours au ministère du Travail, la secrétaire confédérale Catherine Perret l'annonçait la semaine dernière à Libération : «Si la production baisse, c'est le moment ou jamais de discuter de la baisse du temps de travail. On va à nouveau défendre les 32 heures, avec maintien du salaire et réorganisation du travail.» Une ligne que portait déjà Philippe Martinez dans les colonnes du journal à la mi-mai, avec cette observation : «Je n'ai toujours pas compris comment, en faisant travailler plus ceux qui ont du boulot, on va libérer du travail pour ceux qui n'en ont pas.»

Mécanismes

Evidemment, le gouvernement ne veut pas entendre parler des 32 heures. Lundi matin, sur BFM TV, le ministre chargé de l'Action et des comptes publics, Gérald Darmanin, a catégoriquement rejeté l'idée d'une nouvelle loi générale, quelle que soit la direction qu'elle emprunte : «On ne va pas décider du temps de travail des Français comme ça, d'une loi, comme madame Aubry l'a décidé jadis [avec les 35 heures, ndlr].» En réalité, l'exécutif n'a qu'un mantra : tout doit se décider au niveau de l'entreprise, en fonction du taux de remplissage du carnet de commandes. Plusieurs mécanismes sont à la disposition des employeurs, au premier rang desquels le chômage partiel, encore assez généreusement couvert par l'Etat même si celui-ci n'assure que 84% du salaire net (100% au smic), et les désormais fameux «accords de performance collective», mis en place par les ordonnances travail de 2017, dont Muriel Pénicaud vantait récemment les mérites supposés. Des entreprises comme Ryanair, Derichebourg Aeronautics ou encore le journal l'Equipe y ont vu leur intérêt : ces «APC» permettent de déroger à plusieurs dispositions du code du travail, notamment sur les horaires ou les congés, le temps de traverser une mauvaise passe.

«Bien sûr, il faut des contreparties», répète Muriel Pénicaud en mode incantatoire : par exemple, la sauvegarde de l'emploi ou un meilleur intéressement pour les salariés à l'issue de la crise. Mais que pèse la parole des travailleurs et de leurs représentants face à cette forme de chantage aux licenciements ? A la CFDT, où l'on milite pourtant pour qu'un maximum de sujets soient renvoyés à la négociation en entreprise, la numéro 2 Marylise Léon voit le risque d'un «effet d'aubaine». «On ne pourra pas demander des efforts s'il n'y a pas un climat de confiance et que tout le monde est convaincu». Chez FO, Yves Veyrier est moins optimiste et prévient déjà que des syndicats n'auront d'autre choix que de signer «le dos au mur» des accords grignotant les droits sociaux. Adoptées dans un tout autre contexte économique, les dernières réformes du travail, qui reposent sur l'idée que tout pourrait se régler autour d'une table entre patrons et syndicats, vont passer dans les prochains mois un excellent crash test. Mais ce sont les salariés dans la voiture qui en subiront toutes les conséquences.