Spécialiste du Caucase, Aude Merlin est chargée de cours en science politique à l’Université libre de Bruxelles.
Combien de Tchétchènes ont quitté leur pays ?
On estime à environ 200 000 le nombre de ceux ayant quitté la Tchétchénie depuis le début de la seconde guerre en 1999-2000. Ils ont fui les exactions et violations massives des droits de l'homme perpétrées à l'époque par les structures de force fédérales russes. C'était le début de la seconde guerre de Tchétchénie, qui a conduit à une décimation du peuple tchétchène. Les bombardements puis les pratiques de «nettoyage», l'usage à grande échelle de la torture, ont conduit des milliers de civils à fuir. Lorsque la tchétchénisation du conflit a été mise en place par Moscou, avec la nomination d'une figure politique pro-Kremlin [Ahmad Hadji Kadyrov, père de l'actuel chef de la Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, ndlr] à la tête de la région, de plus en plus d'Itchkériens [partisans de l'indépendance] ont fui.
A lire aussiRèglement de comptes : Dijon disjoncte
Quelle est la diaspora en France ?
Elle serait composée d’environ 65 000 ou 70 000 personnes (150 000 dans l’ensemble de l’Union européenne). Les villes et régions de France où existe une communauté tchétchène importante sont : Strasbourg et l’Alsace ; Toulouse, Albi, le Sud-Ouest ; et Nice. A Dijon, il semble que la communauté tchétchène soit composée d’une vingtaine de personnes en tout et pour tout.
Comment cette diaspora est-elle structurée en Europe ?
De nombreux Tchétchènes se méfient par principe de tout ce qui pourrait ressembler à une forme de structure. Y compris d’ailleurs du mot «diaspora», qui évoque pour eux, pour des raisons historiques liées à l’histoire soviétique et à la connotation du terme, la volonté d’organiser politiquement une communauté. Leur société a été très abîmée par le traumatisme des deux guerres récentes, d’une violence inouïe. Ils ont subi une mutilation psychique qui a mis à mal leur cohésion sociale.
On observe plusieurs lignes de division interne qui pour partie peuvent recouper des clivages générationnels, mais aussi politiques, religieux, le tout doublé de structures sociales préexistantes et encore agissantes, comme l'appartenance et la revendication de l'importance de l'affiliation au teïp [le clan, association de familles élargies originaires d'un village de montagne dans les temps anciens] comme vecteur opérant dans la résolution de certains conflits internes.
Comment analyser les violences de Dijon ?
Plusieurs choses : une sorte de performance guerrière mise en scène par des individus tchétchènes, en lien les uns avec les autres, pour défendre et montrer la solidarité entre eux. Le point de déclenchement - un passage à tabac exercé sur un jeune Tchétchène - montre à quel point la question du déshonneur ou de la provocation est brandie par ceux qui tentent de faire porter une voix tchétchène en France comme quelque chose d’inacceptable.
A lire aussiA Nice, des affrontements entre bandes rivales
Il se joue là une combinatoire intéressante : d’un côté, les Tchétchènes qui s’expriment affirment adhérer aux lois françaises ; d’un autre, ils revendiquent une tchétchénité et n’hésitent pas à mettre en scène une intervention musclée.