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Interview

Adeline Hazan : «Il manque une loi sur la santé mentale»

Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté, déplore l’absence de volonté politique d’améliorer le suivi des patients en psychiatrie.
Dans un hôpital psychiatrique. (Yann Castanier/Photo Yann Castanier. Hans Lucas)
publié le 17 juin 2020 à 19h11

Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan achève son mandat en juillet. Elle souligne la question des droits des patients, bien souvent malmenés dans les hôpitaux psychiatriques.

Durant vos six ans de mandat, vous avez visité tous les hôpitaux psychiatriques. Dans votre rapport, le bilan est négatif…

Je ne dirais pas cela. Certes une tendance se maintient, celle d’un enfermement de plus en plus important des malades mentaux. Cette tendance est perceptible depuis vingt-cinq ans. La raison première ? On a supprimé les deux tiers des lits en psychiatrie, passant de 170 000 lits en 1970 à 50 000 en 1999. Le projet alors était de compenser cette baisse en donnant des moyens importants à l’extrahospitalier. Mais les actes n’ont pas suivi. Alors les 50 000 places restantes ont été dédiées de plus en plus à l’enfermement. Et en dépit des lois de 2011 et 2013 sur l’hospitalisation sous contrainte, une réflexion sur la contrainte et l’enfermement n’a jamais eu lieu.

Et cela ne s’améliore pas…

Non. Nous avons réussi à établir un dialogue avec les établissements psychiatriques. Depuis six ans, lors de nos visites, nous sommes acceptés, écoutés. On entend notre regard extérieur, et nous voyons des pratiques au départ problématiques, qui par la suite sont souvent améliorées. Autre élément encourageant, beaucoup considèrent que le respect des droits fondamentaux fait partie des soins. Sur ce point, j’ai ressenti une vraie évolution. Le droit des patients n’est pas un luxe, c’est une condition indispensable pour une bonne prise en charge. Mais les tendances lourdes sont là. Sous couvert de péril imminent ou d’urgence, les lois de 2011 et 2013 ont changé les règles des hospitalisations sans consentement. Un seul certificat de médecin suffit pour hospitaliser le patient sans son accord. Et il y a des abus.

Comment réagissent les pouvoirs publics ?

Nous sommes dans un dialogue, mais les réponses ne sont pas satisfaisantes. En 2018, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a publié une feuille de route visant à améliorer le suivi des patients, mais il n’y a pas de volonté politique. En particulier, on ne se donne pas les moyens de réduire l’hospitalisation sans consentement. Le point positif est que sur l’isolement et la contention, nous avons été à l’origine de la loi 2016 qui a permis de les encadrer. Cette loi dit bien que ce sont des pratiques de dernier recours, et que cela relève d’une décision médicale. Elle devrait donc pouvoir être contestée en justice, mais la loi ne le prévoit pas.

Le juge a son mot à dire pour toute hospitalisation sans consentement. Est-ce une bonne chose ?

C’est positif, car on ne peut pas priver de liberté quelqu’un sans que la justice ait son mot à dire. Mais le juge devrait avoir plus de compétences, être un recours face à des contestations de mesures d’isolement.

Où situez-vous l’urgence ?

Il manque une loi sur la santé mentale, pour tendre vers une psychiatrie intégrée à la cité, au service d’usagers acteurs de leur santé. C’est une réforme d’ampleur. Elle aurait aussi pour objectif de réduire le nombre d’hospitalisations. La psychiatrie reste le parent pauvre de la médecine hospitalière.