Connue pour avoir été «l’architecte» de l’accord de Paris, Laurence Tubiana, présidente de la Fondation européenne pour le climat, s’est engagée dans la Convention citoyenne en tant que coprésidente du comité de gouvernance. Sceptique sur la capacité de l’exécutif à réagir à la hauteur des enjeux, elle salue l’ambition des propositions qui ont émergé de cette expérience démocratique unique en France.
La Convention pour le climat va remettre ses préconisations au moment où l’exécutif travaille sur ses pistes de relance pour répondre à la crise économique…
Oui, c'est un moment «make or break» [«ça passe ou ça casse», ndlr]. Il existe de grands risques que les plans de relance figent l'économie très loin de la transition écologique. Les instruments financiers mobilisés actuellement ne seront plus disponibles l'an prochain. Dans le même temps, certains dans le milieu économique demandent des incitations fortes en matière de transition dès maintenant, pour engager leurs investissements sur le long terme. Et des forces poussent dans le sens inverse. Cela va se polariser et la confrontation va être vive. Mais cette crise a aussi provoqué dans la société un effet de choc dans le rapport à la nature, à l'essentiel.
Ce contexte conforte-t-il la Convention citoyenne ou risque-t-il de l’éclipser ?
Elle a un rôle très important à jouer parce qu’elle est l’expression réfléchie des citoyens. Le contexte de la pandémie les a renforcés dans leur conviction qu’on ne pouvait pas continuer avec le modèle actuel. Ils font le lien entre crises sanitaire et du vivant. Pour eux, il faut en sortir par le haut, c’est-à-dire par la transition écologique. C’est une conclusion forte car ils ne sont pas des ONG, pas Europe Ecologie - les Verts, mais des citoyens de tous âges et de tous métiers. Je suis très émue de ce qui va se passer ce week-end : contrairement aux experts, ces citoyens pensent la transition de façon globale, sans séparer, par exemple, l’alimentation de l’énergie, des transports, etc. Je peux affirmer qu’ils ont travaillé plus que beaucoup de responsables politiques !
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Pour vous, la convention a-t-elle réussi à susciter le débat ?
Oui et non. La Convention est encore très peu connue du grand public. Les chaînes de télévision nationales n’ont pas vraiment couvert le sujet. J’ai tout de même espoir parce que la question du changement climatique reste présente dans le débat public. Les propositions des 150 devraient être reprises par certains candidats aux municipales, par des parlementaires. Un grand moment démocratique d’intelligence collective va se dérouler, puis ce sera aux dirigeants politiques de réagir et de se montrer responsables vis-à-vis de cet énorme effort réalisé par des citoyens. Si le gouvernement se contentait d’un discours général sans suite, cela alimenterait la perte de confiance dans nos dirigeants. Les citoyens ont besoin de réponses très précises car ils ont fait des propositions très précises. Ce sera un moment de vérité. Et connaissant ce gouvernement, il faudra être vigilant.
Qu’est-ce qui vous garantit que l’opinion adhérera davantage à ces orientations parce qu’elles sont portées par des citoyens ?
C'est un phénomène naturel. On l'a observé dans d'autres pays comme en Irlande pour le débat sur l'avortement : le vote de l'Assemblée citoyenne a été similaire au résultat du référendum [en 2018, ndlr]. Certes, avec la Convention, c'est un exercice particulier parce que les citoyens ont pris du temps pour travailler, ce que ne peut pas faire toute la population. Mais ils traduisent tout de même où en sont les Français. J'ai la conviction profonde que la société française est plus avancée dans sa réflexion sur l'écologie que ce que pensent les gouvernants. La Convention en est la preuve.
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Lors des auditions, ils ont été confrontés à des analyses parfois contradictoires. A partir de cela, ils ont construit leurs mesures. Ils n’ont pas cherché à supplanter les experts : ils les ont sollicités, écoutés avec leurs regards de citoyens et leur indépendance. Ce n’était pas une confrontation mais un rapport sain. Ils ne se sont pas non plus transformés en fondamentalistes verts ! C’est pour ça que je pense que leurs propositions peuvent entraîner la société. Face à certaines solutions, les politiques ne pourront plus dire que les citoyens n’en veulent pas.
Qu’est-ce qui vous a le plus frappé dans leurs propositions ?
Ils sont prêts à revisiter des modèles de pensée que je croyais tabous, comme celui de la maison individuelle avec petit jardin ou de l’usage de la voiture individuelle. C’est très étonnant par rapport à la vision générale de la société. Autre prise de position marquante : pour contrer l’artificialisation des sols, ils proposent d’arrêter l’étalement urbain, les constructions de nouvelles grandes surfaces et lotissements, et appellent à la réhabilitation des villages. On aurait pu penser qu’ils tenaient à leur hypermarché. Pas du tout. Ils sont aussi beaucoup plus radicaux que le gouvernement sur le plastique par exemple. Certains proposent de supprimer tous les objets à usage unique d’ici 2023. Et quand ils envisagent de convertir 50 % des terres agricoles à l’agroécologie d’ici 2040, ils vont faire sursauter certains acteurs du secteur.
Pensez-vous que le pouvoir peut tenir sa promesse de transmettre ces mesures «sans filtre» ?
Je participe au Haut Conseil pour le climat et, jusqu’ici, on n’a pas vraiment donné un satisfecit au gouvernement… On ne peut pas dire que le tournant de la transition ait été pris. Il faut agir maintenant. Les citoyens s’organisent mais j’insiste sur la responsabilité du gouvernement. A lui de travailler pour retranscrire les recommandations de manière opérationnelle, sans se défausser. Il a eu le temps de se préparer. De nombreuses mesures, d’ordre réglementaire, peuvent faire l’objet d’une réponse immédiate.
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Pour certaines mesures proposées, souhaitez-vous la tenue d’un référendum ?
La question est délicate. Il serait logique d’organiser un référendum pour définir où en est la société française. Et accompagner ce processus de délibération par le référent ultime, c’est-à-dire la décision du peuple, me semble très intéressant. En même temps, dans une période qui va devenir préélectorale, ce n’est pas simple. Le référendum a tout son intérêt à condition qu’il ne soit pas instrumentalisé.