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Jérôme Salomon, paratonnerre fragilisé

Epidémiologiste, le directeur général de la santé a d’abord critiqué les politiques avant de servir de porte-parole au gouvernement lors de la crise du Covid.
Jérôme Salomon, le 21 avril. (THOMAS COEX/Photo Thomas Coex. AFP)
publié le 18 juin 2020 à 19h51

Jérôme Salomon ou l’homme double face. Le directeur général de la santé est ainsi : grand timide projeté en pleine lumière, figure familière aux airs énigmatiques, scientifique épris de doutes mais haut fonctionnaire sûr de lui, en équilibre sur un fil. Mardi, son audition très attendue devant la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale sur le Covid-19 n’a fait qu’illustrer l’ambivalence du personnage. Pendant quatre heures, il n’a rien lâché. Sur les masques, les tests, l’organisation de crise, il a slalomé entre les questions, sans jamais vraiment y répondre, mais sans formellement y opposer un refus. Brillant médecin de santé publique, expert des risques épidémiques, l’homme s’est révélé, jusqu’à présent, comme le meilleur paratonnerre du gouvernement dans la gestion de la crise, couvrant systématiquement les failles et les erreurs commises.

Sentinelle. Durant le confinement, l'homme de 51 ans usait déjà de la même habileté lors de ses points presse quotidiens : après avoir exposé les derniers chiffres, il écoutait les questions des journalistes, affable, en maîtrise, parfois même avec le sourire, puis bottait souvent en touche avec des réponses hors sujet ou imprécises, l'air toujours très sérieux. Sentinelle loyale d'un pouvoir politique qu'il savait pourtant défaillant, lui, le spécialiste de la sécurité sanitaire.

Dans le milieu médical, l’expertise et la bonne réputation du professeur Salomon ne sont plus à faire. Il n’y a qu’à regarder son CV. Docteur en épidémiologie clinique, ancien praticien hospitalier et professeur des universités, l’homme est également titulaire de deux diplômes d’études spécialisées, l’un en maladies infectieuses et tropicales et l’autre en santé publique. Une tronche passionnée de prévention. Lorsqu’il intègre en 1999 le cabinet de Bernard Kouchner, alors secrétaire d’Etat chargé de la Santé, c’est justement pour traiter de santé publique. Même chose entre 2013 et 2015 auprès de la ministre Marisol Touraine, qu’il conseillera notamment sur les risques épidémiques d’Ebola, du chikungunya et de Zika.

Jusqu'à sa nomination à la tête de la Direction générale de la santé, en janvier 2018, la casquette politique de Jérôme Salomon ne l'empêchait pas d'émettre des critiques sur les stratégies publiques. Conseiller du candidat Emmanuel Macron lors de sa campagne présidentielle, le médecin n'avait pas hésité à alerter sur les limites du système de santé français. Dans une note datée du 5 septembre 2016 et censée rester confidentielle (mais révélée par les MacronLeaks), il expliquait : «Notre pays a peu d'expérience de préparation et de gestion des catastrophes. […] La France n'est pas prête. Notre pays doit adapter ses organisations aux spécificités des crises majeures à venir et des nouveaux défis anticipés. Il faut se préparer à faire face aux situations sans précédent donc "hors cadre", inconnues jusqu'à aujourd'hui voire impensables, avec la réactivité nécessaire pour conserver la confiance des Français.»

Dans un mail du 11 janvier 2017, il déplorait précisément «l'absence de maîtrise des gestes basiques d'hygiène : mouchoirs en papier jetables, lavage des mains, solutions hydroalcooliques, port du masque par les malades, généralisés en Asie et quasi inconnus en France !»

«Anticipation». Interrogé à propos de ces notes par les députés mardi, Jérôme Salomon a tenté de minimiser leur portée. «Je faisais part de mon expérience professionnelle», répond-il. «Dès mon arrivée, j'ai eu cette approche en janvier 2018, de prôner une approche globale, d'anticipation», assure-t-il aussi. Sans jamais donner beaucoup plus de précisions. Ni un quelconque indice pour percevoir, derrière ses propos et ses commentaires, l'ombre d'un regret ou d'un remords de médecin.