Chaque lundi, retrouvez notre chronique «Roues cool», qui aborde le vélo comme moyen de déplacement, sans lion en peluche ni bob Cochonou.
Règle numéro 1 : se tenir droit sur sa selle, dans l’axe du vélo, rester souple et chercher son équilibre. Règle numéro 2 : regarder loin devant, là où on veut aller et surtout pas ses pieds ou la roue avant. Cela n’a l’air de rien et, pour beaucoup, la pratique du vélo semble aussi naturelle que la respiration. Mais pour de nombreux adultes, c’est encore une sorte de graal, un mode de déplacement aussi envié que hors de portée. Voire un tabou qu’on n’ose affronter. Pour répondre à une aspiration croissante, portée par une prise de conscience écologique et les politiques publiques de soutien à l’usage de la bicyclette, l’association Roazhon Mobility, qui intervenait auparavant essentiellement en milieu scolaire, propose à Rennes, depuis la sortie du confinement, des cours gratuits de remise en selle pour adultes, deux jours par semaine, aux heures de la pause déjeuner. Et les demandes explosent.
«La crise sanitaire a été un déclencheur, commente Thomas Lejeune, l'un des deux moniteurs chargés des cours. Les inscriptions ont été multipliées par quinze depuis le déconfinement. Avec un public de tous âges, et des besoins très différents. Il y a ceux qui n'ont jamais fait de vélo et ceux qui veulent s'y remettre ou se rassurer avant de circuler en ville. Se mettre à pédaler à l'âge adulte n'est pas évident. Il y a la peur de la chute, mais aussi du regard des autres.»
«Aussi dur physiquement que nerveusement»
Pour vaincre ces peurs, Thomas Lejeune et Jérôme Monchatre, des modèles de patience, de bonne humeur et de pédagogie, n'ont pas leur pareil pour mettre en confiance et répéter les mots qui rassurent ou encouragent. Sur une vaste esplanade légèrement en pente et coupée du reste de la ville, au cœur de Rennes, ils dispensent leurs conseils et accompagnent chaque mardi et mercredi midi des petits groupes de cyclistes débutants ou désireux de retrouver une assurance perdue. «Certains auront besoin de dix séances et d'autres seulement de deux ou trois, relève Jérôme. C'est aussi dur physiquement que nerveusement, mais à la fin c'est une grande satisfaction pour les gens qui se disent : c'est bon ! Maintenant je sais faire du vélo.»
Rana, 46 ans, ingénieure d'origine libanaise, animée d'une détermination farouche, en est encore aux balbutiements, parcourant sans relâche une même longueur en mode draisienne (les pieds au sol) ou les pieds sur les pédales, mais le vélo maintenu fermement par Thomas. «Cela faisait un moment que j'y pensais, depuis que j'avais vu des amis partir en balade sur l'île de Ré sans que je puisse les accompagner, raconte-t-elle. Le déconfinement, avec les mesures de distanciation à respecter, a été une motivation supplémentaire.»
Un peu plus loin, slalomant entre des plots colorés, le coup de pédale encore hésitant, voire chancelant, Nihad, 32 ans, développeuse web, tente de retrouver les sensations qu'elle a perdues depuis une chute et une fracture du poignet l'été dernier. «Cela me manquait. Je suis venue chercher des conseils pour une meilleure maîtrise et pour pouvoir rouler en ville.» Sans doute aussi pour surmonter la crainte d'un nouvel accident.
Exercice grandeur nature
Après quelques tours de piste, où Jérôme lui demande de tourner la tête à droite, à gauche, en arrière, comme pour anticiper de futurs dangers et savoir changer de direction, il la juge prête à se jeter dans le bain. Le temps d'un parcours en ville, où ils vont profiter des nouvelles pistes cyclables aménagées par la mairie mais aussi devoir affronter tout le foisonnement du trafic : autobus, automobiles, piétons, autres cyclistes, et apprendre à se positionner aux carrefours ou le long d'un rond-point. Un exercice grandeur nature que Nihad va accomplir sans faute pour le conclure avec un grand sourire : «Ça fait du bien de retrouver le vélo. C'est vraiment chouette !»
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Pendant ce temps, Rana a poursuivi son apprentissage, parvenant à garder son équilibre sur toute la longueur de l'esplanade. Ce qui réjouit autant l'élève que le professeur. «Rana partait de très loin, avec une forte appréhension de la chute», remarque Thomas. Dans la foulée, trois nouvelles candidates ont coiffé leur casque. Il y a Mireille, jeune retraitée de 62 ans, qui n'est pas remontée sur un vélo depuis seize ans et un AVC qui a quelque peu réduit son champ visuel. Flore, 33 ans, professeure de théâtre, qui vient de s'acheter un vélo mais avoue «des blocages». Et enfin Merveille, une étudiante de 26 ans pour qui c'est une première. «A la maison, tous mes frères avaient des vélos mais pas moi. On m'a toujours dit que c'était un truc de garçon. Mais c'est quand même mieux que de prendre sa voiture pour venir dans le centre-ville, non ?»
Vélosophie #11 Menace
Chaque semaine, un épisode animé du Petit traité de vélosophie de Tronchet, extrait de l'album paru chez Delcourt.