Tirés à quatre épingles, des lève-tôt attendent depuis un moment devant le collège Belle-de-Mai, dans le très populaire 3e arrondissement de Marseille. D'autres, tout juste sortis du lit, accélèrent le pas pour ne pas être en retard. Ce lundi, l'établissement classé REP+ rouvre ses portes pour une seconde rentrée des classes post-confinement. Cette fois-ci, tous les élèves sont appelés au rendez-vous. Alors, pour accueillir tout le monde, le personnel a choisi de les diviser par deux. Le groupe A aura cours cette semaine et le groupe B, celle qui suivra.
«Inutile rentrée» mais «contents de se retrouver»
Derrière sa longue chevelure brune, son look bien soigné et son masque sur le menton, Leïla ne cache pas son mécontentement. «Revenir en cours pour une semaine, ça ne sert à rien», souffle l'élève de cinquième. Un avis partagé par Inès, 14 ans. A califourchon sur un scooter garé près de l'école et banane accrochée autour de la taille, elle échange rires et anecdotes avec quatre amis qui l'entourent, debout sur le trottoir. «J'ai cours la semaine prochaine seulement, mais je suis ici aujourd'hui pour voir mes copines. Heureusement qu'elles sont là, sinon c'est inutile de venir.»
A peine a-t-elle terminé sa phrase que Nisma, 14 ans, enchaîne : «C'est vrai que ça fait plaisir de se retrouver après le confinement. Mais bon il y a aussi le virus. Ça me fait peur mais je vais tout de même faire des câlins à mes copines.» Même s'ils jugent «inutile» cette rentrée à douze jours des vacances d'été, Nisma reconnaît que «ce sera plus facile pour les devoirs» : «Je n'arrivais pas à les faire, c'est trop dur. J'ai deux frères et une petite sœur mais personne pour m'aider.» Un problème auquel Anass, élève de cinquième, a aussi dû faire face : «J'ai surtout eu du mal pour l'histoire et l'allemand parce qu'à la maison, personne n'a pu m'aider.»
Pas d’examen du brevet
Sofiane, 14 ans, se dit lui chanceux : «Ma mère veillait à ce que je fasse les devoirs chaque jour donc je n'ai pas pris de retard, raconte-t-il. Quand j'ai appris qu'on allait reprendre les cours, j'étais à la fois choqué et content.» Assis sur une rambarde, il se tient à l'écart des autres. Il explique : «J'ai peur pour ma mère. Elle a une maladie chronique et je n'ai pas envie de la contaminer. Je vais essayer de toucher le moins de gens possible», confie-t-il, derrière son masque chirurgical et ses lunettes embuées.
Quelques mètres plus loin, Kenza, beaucoup moins discrète, rigole avec ses camarades. L'adolescente de 15 ans est en troisième. Crise sanitaire oblige, elle n'aura pas à passer l'examen du brevet. Seul le contrôle continu compte cette année. Une nouvelle dont elle ne se réjouit pas. «C'est la merde ! Le premier trimestre j'ai bien travaillé j'avais 10, 12… Mais ensuite j'ai eu 5. J'ai coulé fort. Pire que le Titanic !» Il est à présent 9 heures. Des surveillants ouvrent la porte de l'établissement. Ils distribuent des masques aux élèves qui n'en ont pas. Kenza reste sur le trottoir, portable collé à l'oreille. A l'autre bout du fil une copine. Elle va la retrouver : ses cours ne commencent qu'à 11 heures.
A Rennes, le grand bonheur des tout-petits
Lundi matin calme à l'école élémentaire Champ-l'Evêque de Bruz, près de Rennes, pour cette nouvelle rentrée scolaire un peu spéciale, où sont attendus aussi bien les marmots de maternelle que la totalité des effectifs des classes primaires. Dans l'attente des premiers enfants, un animateur périscolaire s'interroge. «Ça risque d'être un peu le bazar aujourd'hui. Et est-ce que ça a vraiment un intérêt pour les enfants ? Les règles qui changent tout le temps, ça les perturbe et ce n'est pas évident pour les parents.» Pour Maévane, petit bout de chou de 4 ans qui, cartable sur le dos, arrive en courant et en s'écriant joyeusement : «La garderie ! La garderie !» Ce retour à l'école est manifestement un grand bonheur. A quelques mètres, le papa confirme : «Il y avait beaucoup d'énervement ces derniers jours, Maévane était en manque de sorties et de vie sociale. Ses copains comme sa maîtresse lui manquaient beaucoup.»
A Bruz, au sud de Rennes, ce lundi.
Photo Quentin Vernault pour Libération
Tandis que les enfants arrivent par grappes et que l'agitation monte en puissance, Matthieu, 11 ans, une grande mèche brune et encore du sommeil plein les yeux, n'est pas mécontent de retrouver sa classe de CM2. «J'ai eu du mal à me réveiller, mais je préfère être ici, lâche-t-il. Quand on est fils unique, on n'a pas trop de personnes avec qui s'amuser.» Auxane, 10 ans, est du même avis. «Je vais revoir le professeur, les amis, se réjouit-elle, et pouvoir leur dire au revoir avant les vacances. Avec maman en télétravail et un grand frère qui n'était pas toujours là pour m'aider, le travail scolaire à la maison, ce n'était pas top top.» Chez d'autres enfants, l'appréhension, après des semaines de confinement, n'en est pas moins palpable. «Je ne sais plus où est ma place dans la classe, s'inquiète Juliette, 9 ans. Et j'ai peur de me faire embêter par mes camarades.»
Un «grand n’importe quoi»
Pour Marina, la maman, cette rentrée, qui n'a selon elle d'autre but que de remettre l'ensemble des parents au travail, ne s'imposait pas. «La décision a été soudaine, alors qu'on se projetait déjà en septembre, regrette-t-elle. Et on ne voit pas l'intérêt scolaire.» Pour Sophie, qui a été touchée par le virus, et débat avec d'autres mères de famille des nouvelles mesures de distanciation de 1 mètre «en latéral» entre les enfants, «c'est du grand n'importe quoi !»
Un avis que n'est pas loin de partager le directeur de l'école, Jean-Marc Ansquer. «On nous demande de conserver le lavage des mains alors qu'on va passer de 12 élèves en moyenne à des classes de 25», fulmine-t-il. Mais le nombre de lavabos n'a pas changé. «J'ai calculé que ça représentait trois heures de lavage par jour et par classe.» Le directeur se félicite en revanche du travail scolaire à distance qui a bien fonctionné.
Chez certains parents, l'angoisse de nouvelles contaminations reste omniprésente. «Je suis venu informer l'école que mes trois fils ne viendraient pas, confie Asma, 36 ans. Nous avons perdu trois membres de notre famille avec le virus et ils sont traumatisés. On vit toujours une période de pandémie, il ne faut pas l'oublier.»