«De quoi a-t-on besoin pour passer un bon été ?» La question que tout le monde se pose en ce moment pendouille sur un morceau de papier accroché à une corde à linge, sur le parvis de l'église Notre-Dame, en plein cœur de Poitiers. Les chalands venus faire leur marché sont invités à écrire leur réponse au feutre sur des feuilles A4. Une démarche participative qui fleure bon les techniques d'éducation populaire dont la liste «Poitiers collectif» a fait sa marque de fabrique. Conduite par Léonore Moncond'huy, conseillère régionale EE-LV, soutenue par le PCF et Génération·s, elle est arrivée en deuxième position le 15 mars, avec 23,89 % des voix. Derrière le maire sortant Alain Claeys (PS, 28,21 %) et devant Anthony Brottier (LREM, 18,37 %). Dimanche, elle mise sur le report des voix d'une autre liste, soutenue par LFI, arrivée tout juste sous la barre des 10 %. Aucun accord formel n'a été trouvé mais les programmes sont proches. De quoi, peut-être, faire tomber ce fief socialiste depuis 1977. Et donc électriser un peu l'ambiance sur le parvis, où les trois listes qualifiées pour le second tour font campagne ce samedi matin.
Alain Claeys, lundi.
Photo Claude Pauquet. Vu pour Libération
«Petits bras». Pile sous le porche de l'église romane, Anthony Brottier, la trentaine dégarnie, s'affiche tout sourire. Confiant dans la réserve de voix constituée par les abstentionnistes du premier tour et la droite du candidat LR, qui n'a pas pu se maintenir. Il dit avoir «le cœur plutôt à gauche». «Mais sans dogmatisme», s'empresse-t-il d'ajouter, en prenant pour preuve deux de ses colistiers, à ses côtés : une médiatrice sociale issue d'un quartier populaire et un commandant de police en retraite.
Débarque une tête connue. Sacha Houlié, 31 ans, député de la Vienne et 15e sur la liste. «Sur 25 000 portes frappées, j'en ai fait 3 500 à moi seul», fanfaronne l'élu. C'est aussi lui qui est allé négocier, tout seul, une éventuelle fusion avec Alain Claeys. Sans succès. Toujours lui qui a rejeté toute alliance avec la droite poitevine, coupable et comptable des propos homophobes et xénophobes de certains de ses colistiers sur les réseaux sociaux. De quoi compliquer les reports de voix. Qu'importe, le député assume, captures d'écran à l'appui. Cette campagne, c'est un peu la sienne. «Après le 15 mars, à Paris, on ne me regardait plus de la même façon, savoure-t-il. Les gens se disaient : ce petit gars il a fait 19 % tout seul, avec ses petits bras.» Objectif affiché : «Faire de Poitiers une base pour LREM. Même si on fait 25 %, ça voudra dire quelque chose.»
Mais pour Alain Claeys, Sacha Houlié a un objectif plus secret : «Devenir ministre.» Le baron socialiste de 71 ans, dont une vingtaine au Palais-Bourbon, regarde le jeune ambitieux avec un mélange de bienveillance et d'agacement. Son discours n'est pas si éloigné de la liste LREM : «Je combats le sectarisme et le dogmatisme», décoche-t-il en direction de la liste Poitiers collectif.
Lui aussi reproche aux écolos d'être «décroissants» sous prétexte qu'ils veulent fermer l'aéroport. Mais pas question pour autant de renier son étiquette. «Je suis socialiste et je le resterai. Même si, en tant que maire, mon rôle est de rassembler», professe celui qui fut aussi le coauteur avec Jean Leonetti d'une loi sur la fin de vie. A ceux qui lui reprochent de gouverner seul, il oppose son «autorité tranquille» et sa liste «renouvelée à 60 %».
Léonore Moncond'huy, lundi à Poitiers.
Photo Claude Pauquet. Vu pour Libération
Bonne parole. «En réalité, il concentre tout le pouvoir avec ses deux bras droits, qui ont plus de 70 ans», cingle Charles Reverchon-Billot, 30 ans, directeur de campagne de Poitiers collectif. On le retrouve avec Léonore Moncond'huy dans le local EE-LV du centre-ville. Ambiance bon enfant autour de la table, ça se vanne entre «non-encartés», militants écolos, communistes et Génération·s. Moyenne d'âge : 39 ans. Beaucoup sont issus de l'associatif, des maisons de quartier, de l'éducation populaire. La tête de liste, elle, est venue à l'engagement par le scoutisme. D'où le souci du collectif, défend-elle, qu'illustre bien sa désignation au terme d'une «élection sans candidat». Comprendre : personne ne s'est présenté, mais chaque participant de la plénière a proposé une liste de noms. Le sien est celui qui est revenu le plus souvent.
«L'objectif, c'est de mettre le projet avant la tête de liste et les ego», résume-t-elle. Le programme, donc, a été élaboré pendant un an, entre groupes de travail thématiques et plénières. «Il n'y a que comme ça qu'on peut ramener des gens vers la politique», soutient la conseillère régionale qui confesse avoir «coché toutes les cases de l'engagement militant».
Au menu de sa soirée : un «barathon» (soit… une tournée des bars), autant pour répandre la bonne parole que pour souder le collectif. Reste à savoir si cela suffira à battre les deux crocodiles de la politique locale - le baron socialiste et le jeune ambitieux macroniste.