Jamal-Eddine Louhkiar, facteur, a un dessein déjà fabriqué : si Les Républicains (LR) gagnaient à Besançon, il deviendrait adjoint. Et le maire lui confierait la vie à Planoise, son quartier d’origine, immense et fiévreux, au sud-ouest de la ville. Des grands ensembles, plus de 20 000 habitants, une mémoire ouvrière et étudiante, et des faits divers d’une régularité clinique.
Planoise n’est pas un ghetto, terme fourre-tout ignorant les bulles de bien. Au regard de la taille des nœuds – came, douilles, coups de feu, morts, toxicos, paupérisation – c’est autre chose qu’un mot seul ne résumerait pas.
On a croisé le quadra fin avant le Covid-19 et au vrai, d'aucuns le raconteraient comme une nouvelle : il est facteur de droite. Sans carte LR, issu de la société civile, mais quand même. Olivier Besancenot a peut-être vissé un cliché dans nos têtes : le postier ne peut être que de gauche, point barre.
Repli et «bonjour»
Jamal-Eddine Louhkiar a disserté, entre autres, sur l’ancien monde (il est nostalgique), les ados les pieds dans le deal (ça concerne des filles aussi) et sur la mixité mal préparée à Planoise. Ça donne des scènes où un retraité maghrébin implanté depuis des lunes peut parler d’un Albanais fraîchement arrivé comme le Templier d’un Mahométan. Repli global des uns et des autres disent des habitants, puisque la peur est le véritable maire adjoint là-bas.
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Certains appellent ça communautarisme, d'autres les mathématiques de la misère : additionner les problèmes économiques dans un espace donné les multiplie. Le bilan de ses porte-à-porte est convenu : «Beaucoup veulent s'en aller, mais n'ont pas les moyens. C'est triste, non ?» Planoise n'est pas si différent que d'autres secteurs en souffrance, in fine. Mais il est grand. Très grand.
Le facteur est le neuvième nom sur la liste de Ludovic Fagaut, principal de collège. Ils se connaissent par le biais du sport, une confiance s’est installée et puis, tout le monde s’y retrouve. Ce dernier nous a reçu dans son local de campagne. La sécurité est sa priorité, l’éducation est un préalable. Les gamins doivent réapprendre la politesse comme on l’inculquait d’antan. Un «bonjour monsieur», un regard dans les yeux.
Faute de gauche
On dit que la recherche d'ordre est l'ultime quête quand l'utopie est bousillée. Besançon n'en est pas encore là : les écolos et leur programme optimiste sont donnés favoris. Ils ont viré en tête au premier tour (31,2%), devant LR (23,6%) – 2 000 voix les séparent. Si Jamal-Eddine Louhkiar prenait ses fonctions demain, lui remettrait des médiateurs issus de ce territoire – craints et respectés – partout. Ça paraît si désuet vu de loin, mais ça pacifierait quelques coins de rue, assure-t-il. Et : «Il y a dix ans, jamais un candidat de droite n'aurait pu se balader comme Ludovic le fait à Planoise.» Les temps changent, donc.
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Au vrai, ce postier, père de trois enfants, est une histoire qui dépasse la Franche-Comté : la gauche recule, et c’est de plus en plus audible, dans les quartiers populaires. A brûle-pourpoint, on s’est dit qu’à une époque pas si lointaine, Jamal-Eddine Louhkiar aurait pu figurer sur la liste des écolos. Ou des socialistes. Ou des insoumis.
Il a aidé, et pas qu’un peu, la communauté des gens du voyage pendant le confinement. Participé à l’organisation d’un match de football entre policiers et jeunes pour éviter une guerre parallèle. Juré que le sport était un solide moyen de prévenir la délinquance.
Il a travaillé dans une radio locale qui lorsque l’on discute avec son patron, porte des valeurs qui feraient tousser plus d’un homme de droite. Jamal-Eddine Louhkiar explique sa présence sur une liste LR sans le début d’une hésitation : si la gauche locale au pouvoir – passée à LREM – n’avait pas failli, il ne serait certainement pas là.