La directrice de l’établissement public de Paris-La Défense, premier quartier d’affaires en Europe, qui dépose une main courante au commissariat à la suite des menaces proférées par un investisseur, c’est un inédit. C’est en tout cas ce qui se serait produit le 18 juin à l’issue de la séance du conseil départemental des Hauts-de-Seine.
D'après le Canard enchaîné qui relate l'épisode, Gilles Soulié, vice-président de la société Hermitage, aurait menacé Marie-Célie Guillaume, directrice générale de Paris-La Défense, de représailles en haut lieu si elle persistait à bloquer le projet de construction de deux tours de 300 mètres imaginé par le promoteur russe Emin Iskenderov. Pour crédibiliser son avertissement, Soulié aurait en particulier cité le nom de Patrick Strzoda, préfet des Hauts-de-Seine en 2009 et aujourd'hui directeur de cabinet d'Emmanuel Macron.
«Je vais vous détruire»
A l’ordre du jour de la réunion du conseil, figurait l’élection de Georges Siffredi à la présidence du département pour succéder à Patrick Devedjian, décédé du Covid-19 le 29 mars. Devedjian, président des Hauts-de-Seine et également de l’établissement public d’aménagement de La Défense depuis 2018, avait été le premier, et jusqu’ici le seul, à freiner dans son entreprise Emin Iskenderov, président-fondateur de Hermitage. Le patron des Hauts-de-Seine avait ainsi refusé de renouveler la convention liant les deux parties, puis avait réclamé en justice 30 millions d’impayés et, en prime, fait enlever les deux tours de la grande maquette de La Défense. Les symboles comptent aussi.
A peine Siffredi aux manettes, Gilles Soulié est donc allé tester l'état d'esprit du successeur. Avec l'assentiment d'Iskenderov ? Contacté, celui-ci tient à préciser qu'il était absent ce jour-là. D'après le Canard, Siffredi aurait répondu à Soulié qu'il ne changerait rien et réaffirmé son soutien à la directrice générale. D'où les propos de Soulié rapportés par Marie-Célie Guillaume aux policiers : «Je vais détruire votre réputation, je vais vous détruire, ça ne va pas en rester là, j'ai des enregistrements, chacun ses méthodes, chacun ses armes, ça va remonter très haut. Le préfet Strzoda va être informé.»
Quelle que soit l’issue de la main courante, la démarche de Soulié révèle au moins une erreur d’appréciation politique. La possibilité que le loyal Siffredi renie son mentor Patrick Devedjian à peine décédé était nulle. En outre, cette perte de sang-froid de l’adjoint d’Iskenderov n’améliore pas la cote de son patron auprès des décideurs de La Défense.
Trou dans la caisse
Le plus étonnant dans cette histoire, c'est que cette cote ait tenu si longtemps. L'idée de construire deux tours mixtes (bureaux, hôtels, logements de luxe) hautes de 300 mètres remonte à 2008. Née dans la tête d'un promoteur russe que personne n'avait jamais vu en France, elle avait été adoubée en haut lieu par Nicolas Sarkozy, président de la République et Dimitri Medvedev, alors président de la Russie, avec Vladimir Poutine, vice-président, pas loin derrière.
Depuis, le projet a suivi un parcours plus qu'étrange. Côté dévastation, il a prospéré. Les immeubles d'habitation du site, 280 logements, ont été vidés de presque tous leurs locataires. Ils devaient être démolis pour faire place aux deux tours. Les bâtiments sont aujourd'hui murés et fantomatiques. La société HLM RATP-Habitat, leur propriétaire, n'encaisse plus ni les loyers ni les charges que devait régler le promoteur russe pour chaque logement vidé. Elle n'a pas non plus touché un seul euro des 50 millions de la vente car il reste quelques locataires qui s'accrochent. Le bailleur a aujourd'hui un trou dans la caisse et n'a pas pu reconstituer son patrimoine avec le produit de la vente. Sans compter les vies d'habitants qui ont été bouleversées pour rien.
«Pure provocation»
Côté financement, en revanche, le projet aura été moins efficace. Pour cette affaire qu’il évalue à trois milliards d’euros, Emin Iskenderov n’a toujours pas réuni un tour de table. Il n’a en tout cas jamais rendu public un seul nom. Comment et pourquoi les dirigeants successifs de l’établissement public de La Défense ont-ils renouvelé la convention qui les liait à Hermitage alors même que pas un investisseur ne rentrait dans le projet ? Aujourd’hui, leur priorité semble bien de décrocher le Russe. Mais sans doute pas pour faire revenir les habitants.
Emin Iskenderov se félicite régulièrement d'avoir gagné tous les recours déposés contre lui. Me Armelle de Coulhac-Mazérieux, conseil des locataires, a résumé dans une vidéo instructive les surprenants revirements de jurisprudence que certaines de ces décisions ont créés.
Réagissant ce mercredi sur l'épisode qui a opposé la directrice générale de Paris-La Défense à son adjoint, Emin Iskenderov nous a envoyé ce texto : «Pure provocation de la part de MCG qui essaie de nuire à l'image du groupe depuis un certain temps, par tous les moyens, imaginables et inimaginables !!!» Contactée, Marie-Célie Guillaume n'a pas souhaité commenter l'épisode.