Menu
Libération
justice

Tyler Vilus, premier «revenant» jugé pour meurtre en zone syro-irakienne

Originaire de Troyes, l'ex-«émir» de l'Etat islamique comparaît ce jeudi devant la Cour d'assises spéciale de Paris pour des crimes commis en Syrie entre 2013 et 2015.
A Mursitpinar, près de la frontière turco-syrienne, en novembre 2014. (STR/Photo AFP)
par Thémïs Laporte
publié le 25 juin 2020 à 7h20

Son ascension au sein de l’Etat islamique le conduit aujourd’hui devant la justice. Tyler Vilus, l’un des premiers jihadistes français à avoir rejoint les rangs de l’organisation terroriste, sera jugé à partir de ce jeudi devant la Cour d’Assises spéciale de Paris, composée uniquement de magistrats professionnels. Son procès porte sur des crimes commis en Syrie – appartenance à une association de malfaiteurs terroristes, meurtre aggravé, avoir dirigé des groupes de combattants – entre 2013 et son arrestation en juillet 2015. C’est le premier «revenant» à être jugé pour des actes commis en zone de guerre.

«Mamie Jihad» 

Avant de devenir un «émir» de l'EI, Tyler Vilus grandit à Troyes, dans l'Aube. Il aime se battre, son parcours scolaire est bancal et il n'a pas la carrure suffisante pour intégrer la Légion étrangère et tombe dans la délinquance. Avec sa mère, il entretient des liens très solides. Alors quand il se convertit à l'Islam à 21 ans, suit une ligne rigoriste et opère un changement «extrêmement radical» selon ses dires, elle fait de même. Surnommée «Mamie Jihad» après trois départs en Syrie en 2013 et 2014, et avoir contribué au départ de plusieurs jeunes filles en zone de guerre, Christine Rivière purge désormais une peine de dix ans de prison.

Pour Tyler Vilus, tout commence véritablement en août 2011. «Il quitte son emploi en région parisienne pour s'installer avec sa mère en Tunisie, rappelle une note du Centre d'analyse du terrorisme (CAT). Très rapidement, [il] fréquente les cercles d'Ansar al-Charia, un groupe salafiste jihadiste fondé par un vétéran tunisien de l'Afghanistan.» Il participe alors à l'attaque de l'ambassade américaine à Tunis, le 14 septembre 2012. Mais la ligne d'Ansar al-Charia n'est pas assez radicale, pense-t-il.

Frustré, Tyler Vilus s'installe en Syrie, où il avait déjà séjourné, en mars 2013. Toujours d'après le CAT, il évolue, dans la région d'Alep, à l'ouest de la Syrie, «au sein de la Katibat al-Muhajirin (KAM), une unité de combattants étrangers, dont un contingent franco-belge». Rapidement, il gravit les échelons. Entraîné, plus imposant, il se vante auprès de sa mère, à l'été 2013 : «En plus d'être flic, je suis devenu émir d'un groupe de Français.»

Débusquer les «traîtres»

«Intelligent, déterminé et paranoïaque», selon les enquêteurs, celui que l'on nomme Abou Hafsa en Syrie devient en effet «recruteur», «combattant», «membre de la police» et chargé de la propagande de Daech. De son propre aveu, il évoque des combats violents et «cette odeur de musc que seul un frère tombé peut dégager». Fin 2013, on le soupçonne de participer à des opérations pour «nettoyer les apostats» (ceux qui ont renoncé à la religion), d'être responsable de torture et d'exécutions sommaires. Ce qu'il conteste.

Puis à partir du printemps 2014, il rejoint Al-Shaddadi, dans l'est du pays, près de la frontière irakienne. Membre de la police islamique, il est en charge du renseignement, de faire appliquer la charia, et de débusquer les «traîtres». En mai 2015, il apparaît visage découvert sur une vidéo de propagande où sont exécutés publiquement deux prisonniers. Et défend systématiquement l'organisation terroriste sur les réseaux sociaux.

Filières belge et française

Tout au long de son passage en Syrie, cet «immigré» côtoie ainsi les filières jihadistes belge et française. Notamment Omar Diaby, recruteur dans la région de Nice, le toulousain Rodrigue Quenum ou encore Rached Riahi, condamné à vingt ans de prison en 2017. Surtout, il est en lien avec Abdelhamid Abaaoud, cerveau présumé des attentats du 13 novembre 2015, ainsi que Samy Amimour et Ismaël Mostefai, deux des kamikazes.

Arrêté le 2 juillet 2015 à l'aéroport d'Istanbul en direction de Prague, soit quatre mois avant les attentats de Paris, il échange avec Abdelhamid Abaaoud. «Sa change rien.quand je sort jagis», «je te recontact quand je sort si je sort», écrit-il, via un téléphone qu'il avait conservé. Or, cette année marque le début de la vague de retours de vétérans de l'EI en Europe et les enquêteurs le soupçonnent de vouloir commettre des attentats en France. Un passeport suédois en poche, il nie, prétend avoir menti pour quitter Daech et se rendre en Mauritanie. Il n'est finalement pas mis examen pour cela. Pour le reste des exactions dont il est accusé, il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.