Les sirènes de police ont retenti pendant de longues minutes jeudi soir avenue du président Kennedy (XVIe arrondissement) à Paris. Face au siège de Radio France, une soixantaine de voitures de fonction, une quinzaine de motos et plusieurs dizaines de policiers en colère se sont rassemblés aux alentours de minuit, certains créant un intimidant cordon face aux portes de la Maison de la radio. Après le traditionnel jet de brassards et de menottes sur le sol, les forces de l'ordre, en civil ou en tenue, ont entonné la Marseillaise. Une protestation qui intervient notamment pour dénoncer leur condition de travail et le manque de soutien de l'Etat (à commencer par le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner) alors que le pays est marqué par une série de manifestations contre les violences policières qui se sont multipliées ces dernières années.
Si d'autres rassemblements ont eu lieu ces dernières semaines en France, les policiers réunis ce jeudi soir devant la Maison de la radio entendaient notamment dénoncer les subventions du conseil régional d'Ile-de-France, favorable selon eux à des «productions antiflics». Le syndicat majoritaire Unité SGP police dénonce dans un tract un acharnement «anti-forces de l'ordre qui semble très lucratif» : «Les forces de l'ordre assaillies de violentes campagnes de dénigrement auraient pu espérer un répit du côté du conseil régional IDF, qui se prétend proche de ses policiers et gendarmes. Malheureusement ce même conseil régional a voté il y a quelques jours une subvention pour un film militant écrit et réalisé par David Dufresne, pseudo-journaliste connu pour sa haine antiflics et son ignorance notoire du maintien de l'ordre.» Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, le journaliste recense sans relâche et minutieusement les témoignages de blessés par les forces de l'ordre. Les fonctionnaires s'en sont également pris au film césarisé les Misérables, réalisé par Ladj Ly, qui raconte une bavure policière commise par une équipe de la brigade anticriminalité à Montfermeil (Seine-Saint-Denis).
Le rassemblement des policiers devant l'antre de la radio publique française a suscité de nombreuses réactions sur Twitter. L'une des plus cinglantes est celle du journaliste de France Inter Claude Askolovitch : «Ces syndicalistes policiers qui s'insurgent contre une subvention donnée au documentaire d'un journaliste incontestable, semblent mûrs pour un régime moins libéral que le nôtre. De la part d'affiliés Force ouvrière (syndicat né contre le totalitarisme) c'est ennuyeux.»
Auditionné le 24 juin à l'Assemblée nationale dans le cadre de la commission d'enquête parlementaire sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire et interrogé par le député de la France insoumise Ugo Bernalicis au sujet des manifestations interdites, le préfet de police de Paris, Didier Lallement, n'a pas craint d'assurer qu'il n'avait pas trouvé les organisateurs des rassemblements de policiers en colère qui se déroulent depuis une dizaine de nuits en région parisienne mais aussi ailleurs dans le pays. Sollicité par Libération, la préfecture de police nous a renvoyés vers le ministère de l'Intérieur qui n'a pas répondu à notre demande.
Mercredi à Strasbourg, quelque 200 policiers ont manifesté contre la condamnation, la veille, d'un de leurs collègues à dix-huit mois de prison avec sursis et cinq ans d'interdiction de port d'arme. Le fonctionnaire avait blessé à la tête, avec sa matraque, une retraitée de 63 ans lors d'une manifestation de gilets jaunes, le 21 janvier 2019. Les policiers ont déposé leurs matraques devant l'hôtel de police avant de se rendre, sirènes hurlantes, à la préfecture. Des scènes de manifestation de plus en plus courante depuis l'annonce de Christophe Castaner interdisant la clé d'étranglement et une «tolérance zéro pour chaque soupçon avéré d'actes ou de propos racistes», le 8 juin. Dès le mercredi 10 juin, des policiers déposaient leurs menottes à Nice, Bobigny, Toulon ou encore Lyon.
De quoi faire rapidement rétropédaler le ministre de l'Intérieur le 11 juin dans les colonnes du Parisien : «S'il y a eu un malentendu, j'en suis responsable. Cet oxymore, "soupçons avérés", a pu semer le doute. Cette formule n'était pas la bonne.» Depuis la mort de George Floyd le 25 mai à Minneapolis, la pratique de la clé d'étranglement a relancé le débat, quelques mois après la mort de Cédric Chouviat, un chauffeur-livreur victime de cette pratique. Dénoncée pour sa dangerosité, cette technique a finalement été maintenue par le ministère de l'Intérieur, en attendant la définition d'une alternative et son remplacement dans la formation des policiers.