Jonathan Bellaiche est avocat au barreau de Paris. Il a notamment défendu les taxis contre Uber. Le 5 juin, il a obtenu la condamnation solidaire d’Airbnb, qui doit indemniser à hauteur de 58 494 euros une propriétaire victime d’une sous-location illégale par le biais de la plateforme. Une somme correspondant au remboursement des sous-loyers encaissés pendant deux ans par sa locataire (51 936 euros) via Airbnb, aux frais de justice engagés (5 000 euros) et aux commissions touchées par la plateforme (1 558 euros).
En quoi le jugement rendu par le tribunal de Paris le 5 juin est-il important ?
Le juge a considéré qu'Airbnb était responsable des annonces publiées sur son site. Il a estimé que la plateforme n'est pas un simple «hébergeur de contenus» mais un «éditeur de contenus» car elle exerce un rôle actif sur ce qui est mis en ligne. S'il y a une illégalité, elle doit donc en assumer les conséquences. Je rappelle qu'un locataire n'a pas le droit sous-louer son logement sans l'autorisation écrite de son bailleur. C'est la loi. Or, dans cette affaire, ma cliente n'a jamais donné son accord à une quelconque sous-location. La locataire sous-louait à son insu et Airbnb a laissé le contenu illicite sur son site.
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Quels sont les éléments qui ont amené le juge à considérer qu’Airbnb est un éditeur et non un simple hébergeur de contenus ?
Le juge a constaté qu'Airbnb donne des directives très précises aux utilisateurs qui proposent leur logement à la location : ils doivent accepter les demandes de réservation, éviter les annulations, ils sont tenus de fournir des équipements de base… Le juge a également constaté que la plateforme se réserve la possibilité de supprimer à son «entière discrétion» des annonces qu'elle juge contraires aux conditions générales qu'elle édicte.
La justice est-elle en train de mettre des garde-fous à la nouvelle économie, dont Uber et Airbnb sont des acteurs ?
En mars 2020, la Cour de cassation a mis un énorme garde-fou en considérant qu’un chauffeur Uber était un salarié dans la mesure où la plateforme fixait à la fois le tarif de la course et les modalités du trajet. En ce qui concerne Airbnb, le 12 septembre 2019, la Cour de cassation a ancré dans le droit qu’un locataire qui sous-loue son logement sans l’accord de son propriétaire doit lui restituer l’argent perçu. Avec le jugement du tribunal de Paris du 5 juin 2020, une nouvelle étape est franchie. Pour se faire indemniser, la propriétaire peut se retourner, à sa convenance, contre sa locataire qui sous-louait illégalement ou contre Airbnb jugé solidairement responsable de cette situation. Cette décision de justice constitue une protection nécessaire pour mettre un terme aux abus commis par l’intermédiaire d’Airbnb. La responsabilisation des plateformes numériques est un enjeu fondamental.
Airbnb est aussi poursuivi par les hôteliers pour concurrence déloyale…
Le principal syndicat hôtelier, l’UMIH, a effectivement engagé une procédure devant le tribunal de commerce de Paris. Il considère notamment que des annonces illégales (sous-locations non autorisées, locations de logements au-delà du seuil autorisé de cent vingt jours par an), constituent de la concurrence déloyale. Dans ce dossier, Airbnb a demandé un sursis à statuer (une suspension de l’affaire) dans l’attente d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui devra juger si la réglementation française (qui encadre notamment l’activité des locations touristiques pour lutter contre la pénurie de logements locatifs au détriment des parisiens par exemple) est conforme aux directives européennes. Mais l’avocat général de la CJUE a déjà rendu ses conclusions. Il considère que les mesures mises en place dans certaines villes européennes pour encadrer les meublés touristiques et protéger le parc locatif ordinaire sont conformes aux directives de l’Union européenne.