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Religion

La dernière bénédiction de Barbarin

Après avoir été relaxé à l’issue d’un long procès pour non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs, Philippe Barbarin a fait ses adieux au diocèse de Lyon ce dimanche.
Lors de la dernière messe de Philippe Barbarin, ce dimanche à Lyon. (Photo Romain Etienne. Item pour Libération)
publié le 28 juin 2020 à 15h59

«Vous ne pouvez pas entrer, il faut un carton.» Ce dimanche matin, la tension monte devant l’entrée de la cathédrale Saint-Jean, dans le Vieux Lyon. Dépités, des curieux sont refoulés à l’entrée par un vigile. «Il fallait mettre un écran géant, c’est lamentable», s’emporte un paroissien. Quelques policiers surveillent la scène de loin. «Bienvenue mon général» : Mgr Michel Dubost, qui assure l’intérim à la tête du diocèse, accueille les grandes figures lyonnaises. Les invités et les médias sont triés sur le volet en raison de la crise sanitaire.

Une toute dernière fois, le cardinal Barbarin préside ce dimanche la messe de Saint Irénée, le saint patron du diocèse. Dans les travées, on aperçoit l'ancien ministre centriste Michel Mercier, Alain Mérieux, à la tête de l'Institut Mérieux, ou encore Kamel Kabtane, le recteur de la grande mosquée de Lyon. L'assemblée est restreinte en ce jour d'élections. Etienne Blanc, candidat LR au premier tour des municipales, tenant de la droite dure de Laurent Wauquiez et favorable à la Manif pour tous, a suivi l'homélie. Attendu, le maire de Lyon Gérard Collomb, ancien socialiste devenu marcheur puis allié avec LR, était le grand absent. Hasard du calendrier, il s'apprête à quitter son siège politique le même jour où Barbarin laisse son diocèse, lui aussi après vingt ans de règne. Une page se tourne dans la baronnie lyonnaise.

«Le grand drame»

Sous les voûtes de la primatiale Saint-Jean, l'archevêque émérite, devenu un symbole de l'omerta sur les violences sexuelles, a donc fait son baroud d'honneur. Il y a quatre ans, il s'agenouillait ici même pour demander pardon aux victimes de violences sexuelles, après que l'affaire du père Preynat a éclaté.

La mine appliquée, il remercie ses soutiens après «le grand drame». «Il fallait que j'en rende raison, devant la justice aussi», commence-t-il. Après dix-huit ans en poste, le cardinal Barbarin a démissionné à la suite son procès retentissant pour non-dénonciation d'agressions sexuelles sur mineurs commises par le père Bernard Preynat. Le pape a accepté sa démission début mars.

En janvier 2020, Philippe Barbarin était relaxé en appel après avoir été condamné à six mois de prison avec sursis. Le site Mediapart a également révélé que le cardinal avait été informé d'au moins cinq cas de prêtres accusés d'agressions sexuelles, sans le signaler à la justice. Ce dimanche, quelques minutes avant cette ultime célébration, un passant hurlait son indignation sur le parvis : «Cette institution est un cancer de la société !»

«C’était normal que je disparaisse»

Pour l'archevêque émérite, il est temps de partir loin, à 800 kilomètres de Lyon, pour devenir simple aumônier dans la maison mère des Petites Sœurs des pauvres du diocèse de Rennes. Un «retour au calme après la tempête», selon lui. Dans une interview exclusive sur RCF Lyon vendredi, il a fait son examen de conscience. «La cour d'appel a reconnu que je n'étais pas coupable de ce dont on m'accusait, mais coupable, bien sûr, je le suis, comme beaucoup de monde. Il y a beaucoup de choses qu'on aurait dû faire, a-t-il reconnu. C'était normal, même exigible, que je disparaisse.»

Face aux notables lyonnais, Mgr Barbarin a eu droit à son cadeau de départ : une croix pectorale. En ligne, le site Mercicardinal.fr incite ses soutiens à exprimer leur gratitude. Parmi eux, le grand rabbin de Lyon, Richard Wertenschlag, salue «un missionnaire infatigable pour diffuser la bonne parole dont la notoriété est devenue universelle». A la fin de cette messe d'adieu, une standing-ovation inhabituelle éclate. Calotte rouge bien enfoncée sur la tête, le cardinal fixe le sol, visiblement ému, avant de quitter précipitamment les lieux.

Sur le parvis, son avocat, Jean-Felix Luciani, un ténor du barreau de Lyon, est venu en soutien. «Il a supporté avec beaucoup de dignité l'indignité du sort qui lui a été réservé, il a endossé le poids d'une responsabilité collective. Il n'a pas essayé de dire qu'il était irréprochable», affirme-t-il. D'autres retiennent des larmes, comme Pierre-Yves Marguin, représentant des cultes auprès de la mairie de Lyon de 2002 à 2019. Croix de bois sur le torse, le père jésuite Michel Joseph reconnaît «les grosses blessures» qui ont entaché le diocèse ses dernières années. «C'est affreux pour les victimes», souffle-t-il.

«Renaissance du diocèse»

«Sa position n'était plus tenable», estime de son côté François Devaux, le président de la Parole libérée, l'association des scouts victimes du père Preynat, interrogé par Libération. François Devaux espère désormais «une renaissance du diocèse» et l'arrivée d'un évêque «qui osera engager une réforme profonde et mettre en place des garde-fous».

Pour le moment, le diocèse fait encore mystère du nom du successeur de Mgr Barbarin. Le nouveau «primat des Gaules» doit être annoncé dans les prochaines semaines par le Vatican.

Photo Romain Etienne. Item pour Libération