Filloniste assumé et décontracté, le directeur adjoint de la très droitière rédaction de Valeurs actuelles, Tugdual Denis, raconte son voyage dans l'intimité de «François». Un drôle de bouquin. Parfois passionnant, toujours extrêmement bienveillant, il tient en haleine. A défaut de «la vérité» promise par son titre, il donne de vraies clés sur la personnalité complexe et mystérieuse de l'éphémère champion de la droite. On s'étonnera tout de même que cet homme pudique, qui avait fait de la discrétion sa marque de fabrique, se prête à cet exercice. «Qui imagine le Général de Gaulle se livrant ainsi ?», serait-on tenté de l'interroger.
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L’auteur ne se drape ni dans la rigueur journalistique, ni encore moins dans l’objectivité à laquelle prétendent, souvent sans faire illusion, les biographes «autorisés» de responsables politiques. Le lecteur est prévenu : ce livre ne prétend pas être un «document politique» mais plutôt «un album personnel», amoureusement composé par un journaliste tombé sous le charme de Fillon et de son épouse, de leurs cinq enfants et des amis de la famille. Denis le reconnaît sincèrement : à l’origine de ce livre, il y a une commande. Le candidat malheureux à la présidentielle ayant fait part de son souhait «de se livrer» pour que la vérité soit dite, son ancienne conseillère en communication, l’incontournable patronne d’Image 7 Anne Méaux, lui a suggéré de faire confiance à l’entreprenant «Tugdual», breton, catholique, mais aussi drôle et bon vivant. Bonne pioche.
La vie de manoir
Fillon a ouvert toutes ses portes au journaliste, à commencer par celle de son fameux manoir de Solesmes, imposante bâtisse renaissance nichée dans la vallée de la Sarthe. Denis y raconte ses séjours, son petit-déjeuner avec l'épouse Penelope, ses apartés avec Marie, la fille aînée, ou avec tel ou tel de ses frères. Le biographe autorisé accompagne «François» partout, dans ses parties des chasses et dans ses déplacements au volant de sa «vieille 306 16 soupapes rénovées» ou de son «joli break Audi A6». Surtout, il partage ses dîners en ville ou à la campagne. Tout particulièrement chez Henri de Castries, ex-PDG d'Axa. Ami fidèle et généreux, ce grand patron issu de la vieille noblesse française est l'un des personnages principaux du livre. Il possède lui aussi – le monde est bien fait – un manoir médiéval à quelques dizaines de kilomètres de Solesmes. Avec gourmandise, Tugdual Denis fait partager son étourdissante itinérance, de châteaux en relais de chasse, en passant par l'aristocratique faubourg Saint-Germain.
On y boit les meilleurs vins avec des gens sympathiques, intelligents et souvent même tolérants. Le décor est planté. Au passage, on notera qu'il décrit, avec force détails, le train de vie fastueux qu'un simple traitement de député ne permet probablement pas d'assurer. Enfant de la bourgeoisie provinciale, Fillon cultive l'élégance de la noblesse. Il en partage les codes et le style, tout comme son biographe, manifestement fasciné. La vie de château, raison d'être de l'emploi présumé fictif déclaré par Penelope Fillon pendant une vingtaine d'années ? Son frère cadet Pierre dit de «François» qu'il est «fasciné par la magnificence» et qu'il a fait «une faute de comportement» en acceptant les costumes offerts par Robert Bourgi.
«Demain j’arrête»
Le livre n'apporte rien de nouveau sur l'affaire qui a précipité la chute du candidat. Ce dernier s'en tient à sa ligne de défense. Il ne s'est pas inquiété quand le Canard enchaîné a révélé le 24 janvier 2017 les 500 000 euros touchés par son épouse : «Le sujet me paraissait déminable, à la fois parce qu'il s'agit d'une pratique généralisée, et parce qu'il y a des témoignages.» Le lendemain, alors qu'il se trouve à Bordeaux, on lui apprend que le parquet national financier ouvre une enquête : «Je me souviens de mon retour en avion. Si j'avais pu ouvrir la porte pendant le vol, je me serais jeté dans le vide.» A travers les confidences de la famille et des amis, Denis raconte le cauchemar de ce printemps 2017. Les paparazzis qui campent devant l'appartement parisien. La timide Penelope qui se fait insulter dans la rue et devient «l'incarnation de la corruption», elle qui «ne volerait pas un bonbon dans une épicerie», raconte son beau-frère. «Demain j'arrête. Tout le monde souffre trop dans cette histoire», a dit Fillon la veille de son dernier meeting, alors qu'il fête son anniversaire dans une ambiance de fin du monde. Outre l'hostilité de Sarkozy à une éventuelle candidature Juppé, c'est «la puissance et la chaleur» de la foule massée au Trocadéro qui lui feront «changer d'avis», explique Fillon à son confident.
«Votre livre n'a d'intérêt que si vous parvenez à réhabiliter François Fillon, à décrire la droite, à peindre une époque», explique à Denis l'avocat François Sureau, défenseur obstiné des libertés. De tous les amis qui apparaissent dans ce récit, il est le plus énigmatique et le plus intéressant. Pourquoi Fillon ? «Parce qu'il m'a frappé par une forme de simplicité et de rectitude […] bien qu'il puisse à l'occasion se montrer effarant sur le plan humain», répond Sureau, qui a la particularité d'être également proche d'Emmanuel Macron. Cette double amitié ne lui pose aucun problème. Il n'a «jamais entendu» le président «avoir un seul mot désagréable» sur son ancien adversaire de 2017. Il le prend «toujours au sérieux comme homme d'Etat». Et d'ailleurs, Sureau explique au journaliste de Valeurs actuelles que rien d'insurmontable n'oppose les deux hommes : en 2022, Macron s'apprêterait, selon lui, à faire une «campagne de type filloniste : civilisationnelle et traditionaliste».
«Macron préfère jouer avec Sarko»
A en croire Fillon lui-même, quelques pages plus loin, on serait encore loin du compte. Avec des arguments expéditifs, il démolit l'actuel président, selon lui incapable d'affronter «les sujets de civilisation». Comprendre : le péril du totalitarisme islamique. Pour le reste, il n'a vu depuis 2017 aucun «choix courageux». «La situation financière du pays n'est pas traitée et l'avenir de l'Europe pas résolu», tandis que la politique étrangère serait gérée «de manière opportuniste et sans vision». Lisant cela, on imagine combien l'orgueilleux Fillon dut souffrir d'être Premier ministre de Nicolas Sarkozy… Il est très dur aussi sur l'ex-président avec qui «la fidélité n'est pas politique mais clanique». Il pointe chez Sarkozy «une absence de principes» et de repères : «Un jour, Bachar est son meilleur ami, le lendemain c'est un boucher. Pareil pour Kadhafi.»
Cette sévérité ne l'empêche pas d'échanger avec Macron quand il a «quelque chose à lui signaler», notamment sur la Russie. Il aurait même été question que Fillon soit dans l'avion présidentiel pour le Japon, lors de la visite officielle de juin 2019. Macron y a finalement renoncé. «Pour trianguler à droite, il préfère jouer avec Sarko», conclut Fillon, amer. Il déjeune aussi avec Gérald Darmanin et Bernard Cazeneuve, Jean-Louis Borloo et Dominique de Villepin. L'ex-Premier ministre n'a pas tout à fait coupé les ponts. Il lui arrive même d'échanger avec Edouard Philippe : pour parler «ingénierie financière» ou encore pour le féliciter pour sa gestion de la crise sanitaire.
A la table du chaleureux Monsieur de Castries, dans le pavillon de chasse où fut conçu le programme de Fillon, on ne se prive pas d'ironiser sur les nouveaux espoirs de la droite. Xavier Bertrand en prend pour son grade, au détour d'anecdotes illustrant la médiocrité du personnage. On se moque aussi gentiment de François Baroin, VRP de la banque Barclays, quand celui-ci laisse entendre, dans le JDD, que le pays l'attend et qu'il donnera bientôt sa réponse. Fillon raconte un SMS, resté sans réponse, qu'il a envoyé au maire de Troyes après que ce dernier l'a qualifié, dans une interview, de trop «ultralibéral» à son goût : «Tu me diras ce que tes patrons chez Barclays pensent de mon programme…». Où l'on se souvient qu'en cas de victoire, Fillon avait prévu de faire de Baroin son Premier ministre.