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Environnement

Le début d’un long chemin pour les propositions de la Convention

Macron a affirmé lundi être prêt à s’emparer de la quasi totalité des 149 idées exposées. Mais les conditions floues de leur mise en œuvre leur promettent des destins disparates.
Lors d'un atelier de la Convention citoyenne pour le climat, au Conseil économique, social et environnemental le 11 janvier. (Photo Denis Allard)
publié le 29 juin 2020 à 20h21

Il est si fier de sa réponse à la Convention citoyenne pour le climat (CCC) qu'Emmanuel Macron s'est lui-même attribué une note. Le «citoyen score», une formule pour indiquer le degré de mesures issues du rapport final de ses 150 membres reprises par l'exécutif, «doit être autour de 98 %» : «C'est pas mal, s'est-il complimenté. Mais vous allez le suivre avec moi.» Au nom du «contrat moral» qui le lie à la Convention citoyenne, le président de la République a rappelé, lundi, sa promesse de transmettre «sans filtre» - au Parlement, au gouvernement ou au peuple français via un référendum - les 149 propositions qui lui ont été remises, «à l'exception de trois d'entre elles». Et souhaité que «toutes [celles] qui sont prêtes soient mises en œuvre au plus vite». Difficile, pour l'heure, de savoir quelles mesures le seront réellement, comment et quand. Un flou dénoncé par plusieurs responsables d'ONG, le patron de Greenpeace France, Jean-François Julliard, qualifiant par exemple le discours du Président d'«épais brouillard».

Quel calendrier et quelle méthode Macron a-t-il retenus ?

Le paquet de propositions qui relèvent du champ réglementaire sera abordé «d'ici fin juillet», lors d'un prochain Conseil de défense écologique, un Conseil des ministres restreint dédié aux questions d'environnement. D'autres, mais le chef de l'Etat n'en a pas livré la liste précise, seront intégrées au plan de relance, vendu par Macron comme «économique, écologique et social». Celui-ci sera soumis au Parlement dès la fin de l'été et sera abondé de «15 milliards d'euros supplémentaires sur deux ans» pour assurer la «conversion écologique de notre économie».

Au même moment doit être présenté un projet de loi «spécifique» qui intégrera «l'ensemble des mesures» relevant du champ législatif. Emmanuel Macron a promis d'«associer étroitement» les citoyens de la Convention à la préparation de ce texte, en particulier pour les préconisations «qui méritent encore d'être affinées ou complétées». Il compte aussi mettre dans la boucle les associations d'élus concernés par un volet de solutions (augmentation du nombre de parking relais, interdiction des véhicules polluants dans les centres-villes ou encore instauration de clauses environnementales dans les marchés publics). Ce projet de loi pourrait prendre la forme d'une loi d'orientation comportant de grands principes généraux, comme la loi «Grenelle 1» de 2009.

Emmanuel Macron a par ailleurs assuré «partager» certains sujets qui relèvent de l'échelon européen, comme la taxe carbone aux frontières ou le verdissement de la politique agricole commune (PAC). Et souhaité que le gouvernement fasse le point chaque mois avec les citoyens sur le suivi des mesures.

Quelles mesures a-t-il saluées ?

Le chef de l'Etat a qualifié le projet de la CCC de «cohérent» et d'«humaniste», et assuré qu'il y «adhère». Il soutient d'abord l'idée de «placer l'écologie au cœur du modèle économique», pour «produire différemment» - ce qui, pour lui, exclut la décroissance. Le Président retient de l'épais rapport de la CCC qu'il faut «investir dans les transports propres, rénover nos bâtiments, inventer les industries de demain». Et propose d'investir aussi dans des domaines non traités par la Convention, «comme les énergies décarbonées, les réseaux ou la préservation des ressources en eau». Sans beaucoup plus de précisions.

Affirmant que remettre plus d'écologie dans notre modèle productif, c'est «renforcer l'indépendance européenne et française», Emmanuel Macron a pris l'exemple de la souveraineté alimentaire, et cité les propositions de la CCC visant à renforcer notre capacité à produire nos propres protéines, pour «aller vers la suppression de nos importations de protéines sous OGM qui viennent du bout du monde» afin de nourrir le bétail.

Au nom de la «justice sociale», le chef de l'Etat a salué plusieurs mesures de la CCC : les chèques alimentaires «qui permettent aux plus modestes d'acheter des produits de qualité», des aides renforcées à l'acquisition de véhicules propres ou l'interdiction des passoires thermiques - un «débat très compliqué». Quant à la taxe carbone, qu'il a citée dès le début de son discours, rappelant qu'elle avait été à l'origine de la crise des gilets jaunes et de la création de la Convention en 2019, il a rappelé que «la fixation d'un prix du carbone est l'un des moyens les plus puissants pour réussir notre objectif» de lutte contre le changement climatique. Mais il a validé la suggestion de la CCC de poursuivre le moratoire sur sa hausse en France et de défendre une «taxe carbone européenne», aux frontières. Un «travail de conviction» qu'il s'est engagé à commencer illico… sachant que la tâche risque d'être rude puisque l'idée, sur le tapis à Bruxelles depuis des années, y a été rejetée jusqu'ici.

Sur le plan national, Macron suggère de «réfléchir à une transformation profonde de notre fiscalité pour intégrer une juste tarification du carbone, mais qui suppose de réformer les autres impôts pour rendre cette taxation juste». Une réforme de notre fiscalité qui, «à coup sûr, alimentera les débats de 2022»… et qu'il repousse donc au prochain quinquennat. Macron a également salué les propositions de la CCC visant à mettre fin à la bétonisation : division par deux des espaces urbanisables, sanctuarisation des espaces agricoles, naturels ou forestiers, moratoire sur les nouvelles zones commerciales en périphérie des villes (lire ci-contre)«Allons-y», a-t-il lancé, avant d'en appeler au «changement des comportements de chacun», entreprises et citoyens. Et de mettre en avant «toutes les mesures de formation et d'incitation» proposées par la CCC (éducation au développement durable dès l'école ou «CO2 score» «qui doit permettre à chacun de savoir si ce qu'il mange ou achète est bon pour le climat»).

Trois «jokers»… et quelques autres cachés ?

Quand il était venu échanger avec les membres de la CCC en janvier, Emmanuel Macron s'était entrouvert une porte de sortie. «Un cas de figure peut être de vous dire que je ne suis pas d'accord» sur une partie des solutions préconisées, anticipait-il, tout en assurant ne pas avoir «fait cet exercice pour en arriver là». Il a, lundi, sorti de sa manche trois «jokers», stoppant ainsi l'idée d'un prélèvement annuel de 4 % sur les dividendes des entreprises au-dessus de 10 millions d'euros et de 2 % pour les entreprises dont les dividendes sont inférieurs. Ce projet de taxe devait alimenter un fonds dédié à la transition écologique. «Mettre sur tous les investissements une taxe, c'est réduire notre chance d'attirer les investissements supplémentaires», a évacué Emmanuel Macron. Quitte à se priver d'une piste de financement.

Sans surprise, le chef de l'Etat écarte aussi la réduction de la vitesse sur autoroute de 130 à 110 km / h. Les 150 avaient eux-mêmes âprement débattu de son opportunité, avant d'approuver l'objectif à près de 60 % : selon le rapport final, en contrepartie d'un allongement modéré des temps de trajets, cette solution aurait permis de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre sur ces transports et, au passage, de faire des économies. Mais deux ans après le tollé contre la décision de baisser la vitesse sur certaines routes à 80 km / h, le pataquès n'a pas loupé, agité notamment par les associations d'automobilistes. «Faisons maturer ce débat dans la société mais ne donnons jamais le sentiment à certains concitoyens qu'on les culpabilise ou qu'on les met à l'écart», préconise Macron, qui parle d'expérience : «J'ai présenté beaucoup de grands plans ambitieux qui ont parfois été résumés à une petite phrase. Ce serait injuste que tout votre travail soit résumé à une proposition.» Le troisième veto porte sur l'ajout d'un alinéa au préambule de la Constitution afin de proclamer que «la conciliation des droits, libertés et principes […] ne saurait compromettre la préservation de l'environnement». Une rédaction qui ne convient pas à Macron, lequel refuse de «mettre un droit de la nature au-dessus des droits humains».

Sans assumer de les rejeter explicitement, le Président a aussi exprimé des nuances, voire des réserves sur d'autres sujets. Ainsi de la création d'un crime d'écocide qui ne l'a jamais enthousiasmé, à moins de porter le dossier dans des discussions internationales. Tout juste a-t-il prévu de regarder «avec l'appui des juristes comment ce principe peut entrer dans le droit français dans le respect de nos principes fondamentaux». La semaine dernière, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, avait déjà rappelé l'«exigence de précision de la loi pénale». Alors que la Convention souhaite «renégocier le Ceta au niveau européen pour y intégrer les objectifs de l'Accord de Paris», le chef de l'Etat a dit partager l'objectif mais pas au point de s'engager immédiatement sur le sort de l'accord commercial avec le Canada. «Un travail a permis d'en améliorer le contrôle et l'évaluation, continuons à évaluer, je n'ai aucun tabou», renvoie-t-il vaguement. Et silence radio sur les mesures proposées par la Convention pour encadrer la publicité.

Y aura-t-il un référendum ?

C'était l'une des voies possibles pour la CCC, qui a longuement pesé le pour et le contre de cette stratégie à haut risque, quinze ans après le rejet par référendum du traité constitutionnel européen. Au bout du compte, les 150 suggéraient de consulter les électeurs sur deux modifications de la Constitution et sur l'écocide. Macron retient l'idée de graver dans le marbre de l'article premier de la Constitution «la préservation de la biodiversité, de l'environnement et [la] lutte contre le dérèglement climatique». Mais avant d'être soumise à référendum, cette révision constitutionnelle doit être votée en termes identiques par les deux chambres. Un débat que le Président «souhaite voir aboutir d'ici 2021» pour le soumettre ensuite à l'arbitrage des électeurs… à condition que le Sénat - majoritairement à droite aujourd'hui, avant le renouvellement de septembre - consente à toucher au texte de 1958 pour y faire cet ajout. Une rédaction similaire était prévue par l'exécutif dans sa réforme constitutionnelle, au point mort depuis deux ans.

Macron laisse aussi planer une autre option, que les 150 ne lui ont, pour le coup, pas soufflée. «Sur un ou plusieurs textes de loi reprenant les propositions» de la Convention et «si les choses ne vont pas assez vite», un référendum pourrait être convoqué en 2021, sur la base cette fois de l'article 11 de la Constitution. «Je vous ai fait confiance […]. Ensemble, nous pouvons aussi, au moment où nous le choisirons, sur des sujets qui peut-être bloqueraient, faire confiance aux Français», a-t-il suggéré, jouant le partenariat à durée indéterminée avec les 150. Ce scénario d'une consultation à choix multiples - en réalité, plusieurs référendums le même jour - portant sur des sujets concrets dans le quotidien des Français, était poussé par certains macronistes. Le chef de l'Etat s'est contenté lundi d'ébaucher cette possibilité qu'il garde encore dans son jeu. Comme un ultime joker ?