Yassine Bouzrou est l’avocat d’un jeune dealer victime de violences policières commises le 9 août 2019 par des policiers de la CSI 93.
Que s’est-il passé ?
Le 9 août 2019, mon client, 20 ans, vendait du cannabis dans la cité Emile-Cordon, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) quand un policier, seul et habillé en civil, sans brassard, dit qu'il veut lui acheter des produits stupéfiants [«un coup d'achat», méthode controversée consistant à se faire passer pour un client auprès d'un dealer, ndlr]. Alors qu'il s'apprête à peser un morceau de résine, mon client reçoit du gaz lacrymogène. Puis se fait violenter par une série de coups de poing au visage. Il tente d'éviter les coups, puis trois policiers interviennent, dont un qui lui assène un coup de pied en pleine figure alors qu'il est immobilisé au sol. Il est embarqué dans un fourgon, menotté à terre. Ils continuent à le rouer de coups, lui appuient sur la tête avec leurs chaussures, il se fait étrangler. Surtout, il reçoit des coups de pistolets à impulsion électrique dans les parties génitales. Et on ne lui saisit pas, mais on lui vole les quelques centaines d'euros qu'il avait sur lui. C'est de la violence crapuleuse avec torture en vue d'extorquer de l'argent à des personnes qui se livreraient à des activités illicites. Une sorte de mafia.
Quelle plainte avez-vous déposée ?
Nous avons porté plainte pour tortures contre tous les policiers présents, faux en écriture publique d’une personne dépositaire de l’autorité publique, car le gardien de la paix à l’origine des violences assure avoir surpris mon client en flagrant délit de trafic de stupéfiant, l’avoir pris en fuite puis interpellé. Ce qui est faux. Ce sont deux crimes - et non des délits - qui doivent être traduits devant une cour d’assises : le tribunal correctionnel n’est donc pas compétent. Une enquête préliminaire a été ouverte et on a appris, le 16 avril, que le tribunal de Bobigny avait été saisi par le parquet afin de juger, le 5 novembre, non pas tous les policiers, mais un seul d’entre eux, et non pas pour torture mais pour violences aggravées. Je déplore par ailleurs que nous n’ayons pas accès à la procédure d’enquête, car le procureur de la république de Bobigny est le seul que je connaisse en France à refuser de respecter les lois et nous communiquer le dossier avant un jugement. Objectif : nous empêcher de défendre notre client et de plaider l’incompétence du tribunal correctionnel.
Existe-t-il une spécificité concernant la Seine-Saint-Denis ?
Je ne veux pas généraliser. Mais la justice fonctionne de manière étrange lorsqu’elle minore les infractions reprochées ou n’incrimine qu’un seul policier. Quel message envoie-t-on ? Comment voulez-vous que les policiers comprennent un jour que certains agissements sont gravissimes si le parquet, qui s’est bien gardé d’ouvrir une information judiciaire confiée à un juge indépendant, cherche à les protéger ? Cela illustre une forme d’impunité des violences policières et ne fait qu’accentuer la défiance de la population. Pourquoi les gens porteraient-ils plainte quand des policiers - cela a été le cas dans une affaire à Bobigny -, même condamnés à plusieurs reprises, continuent à exercer ? Le 5 novembre, nous soulèverons l’incompétence du tribunal correctionnel qui ne peut juger d’un crime.