Malformations, autisme, troubles ORL… Pour la première fois, la justice a reconnu ce jeudi la responsabilité de l'Etat, ainsi que celle de Sanofi et de médecins, dans les effets dévastateurs de l'anti-épileptique Dépakine, et l'a condamné à indemniser des familles d'enfants lourdement handicapés. Le nombre d'enfants concernés est estimé entre 15 000 et 30 000, selon les études.
Lorsqu'une femme enceinte prend ce médicament, son enfant présente un risque élevé - de l'ordre de 10% - de malformations congénitales, ainsi qu'un risque accru d'autisme et de retards intellectuels et/ou de la marche, pouvant atteindre jusqu'à 40% des enfants exposés. «L'Etat a manqué à ses obligations de contrôle en ne prenant pas les mesures adaptées et a engagé sa responsabilité», a estimé le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis) dans un communiqué. Il reproche, dans sa décision rendue jeudi, des manquements en matière de police sanitaire et d'informations, notamment dans les notices de ce médicament commercialisé par Sanofi depuis 1967.
Les familles vont faire appel
A cause de cette «carence fautive», l’Etat est condamné à indemniser les trois familles requérantes, dont cinq enfants aujourd’hui âgés de 11 à 35 ans, lourdement handicapés après l’exposition in utero à la Dépakine. Leurs mères avaient continué à prendre cet anti-épileptique durant leur grossesse, sans se douter des effets irréversibles sur leurs bébés. Les indemnisations s’élèvent environ à 290 000 euros, 200 000 euros et 20 000 euros par famille, suivant la date de naissance des victimes.
«La faute de l’Etat a été retenue. Il a failli dans la mise en œuvre de sa police sanitaire», a déclaré Charles Joseph-Oudin, l’avocat des familles. Il a malgré tout annoncé que les trois familles allaient faire appel de cette décision. En cause: le dossier d’un enfant né en 1985, pour lequel la justice a estimé que «seuls les risques de malformations étaient suffisamment documentés pour alerter la vigilance des autorités sanitaires». Mais que les risques quant à l’apparition de troubles neuro-développementaux, tel l’autisme, n’étaient pas suffisamment connus à l’époque pour caractériser la faute de l’Etat et des autorités sanitaires (Agence de sécurité du médicament, ministère de la Santé, CPAM…).
Sanofi également responsable
Le tribunal administratif a également considéré que la responsabilité de l’Etat n’était pas entière et pouvait être exonérée partiellement à cause d’autres acteurs au cœur de ce scandale sanitaire. Ainsi, le laboratoire français Sanofi et des médecins prescripteurs ont également été reconnus responsables, à degrés divers, de n’avoir pas suffisamment informé les patientes des risques encourus en poursuivant leur traitement. Sollicité par l’AFP, le géant pharmaceutique n’était pas joignable dans l’immédiat. Il a toujours soutenu avoir respecté ses obligations. «Sanofi s’est lancé dans une guérilla judiciaire pour refuser d’indemniser les victimes», a dénoncé Me Jospeh-Oudin, appelant à la fin du «déni de responsabilité». Le laboratoire français, qui a été mis en examen en février pour «tromperie aggravée» et «blessures involontaires» après le dépôt de 42 plaintes de familles, est par ailleurs au cœur d’une vingtaine de procédures au tribunal judiciaire de Nanterre (Hauts-de-Seine).