Menu
Libération
Témoignages

Des lycéens étrangers de Seine-Saint-Denis empêchés de poursuivre leurs études

Bien qu’acceptés dans des cursus d’études supérieures, des centaines d’élèves ne peuvent pas s’y inscrire, faute de papiers. A leur majorité, ils risquent même l'expulsion.
Devant le lycée Jacques-Feyder d'Epinay-sur-Seine, le 7 juin 2018. (Stephane REMAEL/Photo Stéphane Remael pour Libération)
publié le 2 juillet 2020 à 19h09

Malgré des lettres au préfet de Seine-Saint-Denis, au recteur de l'académie de Créteil et une tribune publiée dans Libération le 17 juin, rien ne bouge. Un collectif de plus de 800 personnels de l'Education nationale de Seine-Saint-Denis demande toujours une procédure d'urgence pour leurs élèves étrangers sans papiers atteignant la majorité. Avec une échéance bien réelle : la rentrée de septembre.

Ces lycéens – qui seraient plusieurs centaines dans le département – sont pour la plupart déjà admis dans des formations de l'enseignement supérieur. Mais pour s'inscrire, il leur faut un titre de séjour. Or, la préfecture, qui les délivre, fait la sourde oreille. D'après Dominique Margot, représentante de la Cimade – une association qui milite pour les droits des étrangers – «il est impossible de prendre rendez-vous sur le site de la préfecture depuis septembre 2019.» Sans papiers et faute de régularisation, les élèves risquent l'expulsion dès leurs 18 ans.

Un blocage absurde pour Emmanuel Zemmour, professeur de sciences économiques et sociales au lycée Claude-Nicolas-Ledoux des Pavillons-sous-Bois, membre du collectif et ancien président de l'Unef. Il affirme que ces élèves sont «tout à fait régularisables». Le collectif déplore une situation qui «risque de mettre un coup d'arrêt à des centaines de parcours de réussite», comme ceux de Mélissa, Issa et Jasmine (1). Ces derniers racontent à Libération.

Mélissa, 19 ans : «Je ne me sens pas en sécurité»

Assise bien droite sur sa chaise, Mélissa a l'assurance d'une bonne élève. Aucune note en dessous de 14, cette jeune Algérienne est forte dans toutes les matières. En terminale gestion-finance à Rosny-sous-Bois, elle a été acceptée pour préparer un diplôme de comptabilité et de gestion l'année prochaine. Elle veut devenir expert-comptable. «Pour l'argent», plaisante-t-elle. Lorsque son père puis sa mère ont subi de graves accidents, qui les empêchent de travailler, sa sœur, professeure, lui a proposé de la rejoindre en France. A 17 ans, elle a quitté seule l'Algérie pour «un meilleur avenir» avec un visa de tourisme en poche. Aujourd'hui, elle a presque 20 ans. Depuis qu'elle est majeure, elle tente d'obtenir un rendez-vous sur le site Internet de la préfecture. «J'ai essayé à 5 heures du matin, à minuit, à 17 heures. J'en rêve la nuit.» En plus du «coup d'arrêt brutal pour [son] avenir», la jeune fille a peur de se faire expulser : «Je ne me sens pas en sécurité.»

Issa, 18 ans : «Ça risque de tout faire foirer»

Issa a toujours aimé dessiner. Arrivé seul de Guinée à 15 ans, il a été pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance (ASE). Quand on lui a demandé ce qu'il voulait apprendre, il a tout de suite répondu «l'art». Issa a été orienté vers un CAP ébénisterie, qu'il a terminé cette année. D'abord sceptique, le métier a fini par le séduire. Il a été admis à préparer un brevet des métiers d'art (BMA) à la rentrée. Après plusieurs stages dans la même entreprise, son patron lui a signé un contrat d'apprentissage. Plus tard, il aimerait créer sa propre entreprise d'ébénisterie. Ce qu'il préfère dans le métier ? «Faire les plaquages et les motifs.» Il a même créé et réalisé la décoration d'une table pour le rectorat de Créteil, le même qui ne répond pas aux lettres de ses professeurs demandant sa régularisation. Issa a fêté ses 18 ans il y a un mois. Depuis janvier, il se connecte au site de préfecture «presque tous les jours» pour essayer d'obtenir un rendez-vous. Il se lève la nuit pour optimiser ses chances, mais en ce moment le site n'affiche qu'un laconique «page indisponible». «Ça risque de tout faire foirer», se désole le jeune homme.

Jasmine, 17 ans : «Quand j’aurai 18 ans, ça sera encore pire»

Jasmine est arrivée en France avec ses parents et ses deux petites sœurs en 2017, le jour de Noël. Elle avait 15 ans. Son grand frère était déjà là, parti du Congo pour étudier le droit. Jasmine vient de finir son année de première STMG (sciences et techniques du management et de la gestion) à Noisy-le-Grand et dans un mois, elle aura 18 ans. L'année prochaine, quand on lui demandera ce qu'elle veut étudier, elle «ne saura pas quoi mettre». «Je voulais faire un DUT ressources humaines en alternance, mais on m'a dit que ce n'était pas possible car je n'ai pas de titre de séjour.» Avec un grand sourire mi-gêné, mi-amusé, elle explique : «Je veux être manager car je n'aime pas qu'on me donne des ordres.» A chaque fois qu'elle se connecte sur le site de la préfecture, c'est le même constat d'échec. Bien que tout se passe bien en cours, Jasmine est toujours stressée. «Et quand j'aurai 18 ans, ça sera encore pire.»

(1) Les prénoms ont été modifiés.