Aujourd’hui, j’ai piscine. Séquence émotion. La dernière fois, c’était le 13 mars. Cinquante minutes à fond pendant la pause déj. Il y avait cette drôle d’ambiance, on sentait bien que la fermeture nous pendait au nez avec celle des écoles. Puis il y a eu le confinement. Comme j’ai détesté tous ces joggeurs qui n’ont besoin que de leurs pieds pour planer ! Nager m’a manqué à en chialer. Alors pour patienter, j’ai fomenté en secret des plans tordus, d’intrusion nocturne dans un bassin déserté ou de mission commando au lac le plus proche, aux abords interdits. Le 30 mai, j’ai craqué, j’ai roulé des dizaines de kilomètres pour plonger dans une flotte à 17°C, et me débattre contre le courant comme une sardine sortie de sa boîte.
Surenchère du contrôle
Pour être sûre d’en être ce 2 juillet, premier jour de réouverture de ma piscine rhône-alpine, j’ai veillé frénétiquement sur l’ouverture des inscriptions en ligne : il faut désormais réserver sa place quarante-huit heures à l’avance sur l’un des quatre créneaux proposés dans la journée. Dix minutes avant l’heure dite, la queue s’étire dans la rue, une quarantaine de personnes poireautent en silence. On a bien potassé la liste longue comme un bras des nouvelles consignes de l’établissement : ne pas oublier son masque pour le passage par les vestiaires, prévoir de ne pas pouvoir utiliser les casiers, ni les douches à la sortie… Le créneau dure deux heures, trente minutes seront nécessaires pour venir à bout de la file d’attente, après avoir soumis mon sac à un «contrôle visuel» – si jamais j’avais l’idée de me baigner avec mon Beretta – et montré ma pièce d’identité – les tickets nominatifs de pistoche se refilent-ils déjà sur le Darknet ?
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C’est fou comme l’épidémie a institué cette surenchère absurde du contrôle. Effeuillage à l’arrache dans le vestiaire, je demande à un employé si je peux enlever mon masque sous la douche – savonnée et obligatoire avant d’aller à l’eau. Il pense que je me moque de lui. Non, m’sieur l’agent, c’est qu’on sait plus vraiment, hein. Aux douches, on en rigole avec une dame, pas trop fort.
Camée aux endorphines
L’eau est un peu fraîche, qu’importe : bras gauche, bras droit, goulée d’air, les palmes en métronome. On est quatre dans la ligne, puis je suis seule, luxe, je peux zapper les «distances physiques». Aucun nageur ne sait vraiment à quoi elles riment sous l’eau. A l’entrée, personne n’a pensé à vérifier si je m’étais lavé les dents et les trous de nez, ce matin, avec du virucide. Premier kilomètre, première vague d’adrénaline.
Deux ados sont collés l'un à l'autre en bout de ligne, que fait la police ? Tout à l'heure, un monsieur s'est plaint de l'attente trop longue, un agent de sécurité lui a répondu : «Vous devriez dire merci à Macron de vous laisser nager, si ça tenait qu'à nous, on ne serait pas là.» Je fais durer, camée aux endorphines, parce qu'on ne sait jamais. Une heure, 2,5 kilomètres, il faut sortir. L'intégralité de l'établissement va être désinfectée durant quarante-cinq minutes avant le prochain créneau. Dans les vestiaires, il n'y a plus de bancs. Le Covid ne pourra pas s'asseoir. Je dois me chausser à cloche-pied, jambes un peu flageolantes, dur retour aux lois de la gravité. Le pire, c'est que je compte bien revenir. Dans deux jours, papiers en règle.