Panique au central. Dans les tuyaux depuis des semaines, le remaniement fait turbuler élus, ministres et conseillers selon des rites quasi immuables. Côté face, les membres du gouvernement jurent leurs grands dieux qu’ils sont désintéressés, tout entiers dédiés au service de la France jusqu’à la dernière minute, et qu’ils accepteront humblement le verdict présidentiel sur leur sort. Côté pile, tout le monde redouble de roublardise pour savoir ce qui l’attend. Les techniques sont parfois contradictoires. Certains envoient des SMS pour susciter l’apparition de leur nom dans un article, histoire de remonter dans le référencement politico-numérique. Mais d’autres - députés ou membres du gouvernement - supplient qu’on les oublie dans la liste des promus potentiels : pas question de froisser le sommet de l’Etat en apparaissant trop activement en campagne.
Pour alimenter le bûcher médiatique, des dizaines de noms ont fuité ces derniers jours, souvent farfelus, jamais vérifiés. Signe de la fébrilité ambiante mais, aussi, des facéties de certains. «J'ai dit les premiers noms qui me passaient par la tête, mais je n'en avais aucune idée», racontait la semaine dernière un ponte de la majorité, se marrant d'avoir retrouvé sa liste de candidats potentiels dans la presse les jours suivants.
Ralenti
Dans ce maelström, la meilleure blague de journaliste politique consiste à passer ses coups de fil en numéro masqué à l'approche du jour J. Mais la conséquence, c'est que l'Etat fonctionne au ralenti. Un ministre : «Tout est gelé parce que les conseillers et les administrations bossent à 100 % sur les "dossiers ministres"», ces annuaires faisant le point sur tous les projets en cours, au cas où il faudrait changer de locataire sous peu. Dans la catégorie «grand bluff», faire ses cartons dans un ministère - ou plus exactement faire savoir qu'on fait ses cartons - a toujours un franc succès. A défaut de devenir le nouveau Chirac ou le futur Pompidou, si le remaniement vous laisse en rade, vous aurez des bureaux approuvés par Marie Kondo, la prêtresse internationale du rangement.
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Sur le fond, il y a les poncifs de mi-mandat quand il s'agit pour le chef de l'Etat de retrouver un nouveau souffle. De tracer un «nouveau chemin», dit la variante macroniste cette année. Il est donc de nouveau question, dans les boucles numériques, de grands ministères thématiques, abritant une palanquée de secrétaires d'Etat dits «de mission». Certains voient l'agriculture passer sous la houlette de Bercy, «pour créer une sorte de Miti», l'omnipotent ministère de l'Economie qui a permis la reconstruction du Japon, au sortir de la Seconde Guerre mondiale. D'autres, plus nombreux, évoquent le rattachement du logement à l'écologie et la création d'un poste dédié à la rénovation énergétique des bâtiments. On parle aussi de lier «tourisme et promotion des territoires» et de créer un secrétariat d'Etat à la condition animale.
Ancrage
Le cru 2020 échappe, pour l'instant, aux clichés promettant un «gouvernement de combat» ou une «équipe resserrée». La claque de LREM aux municipales et la volonté présidentielle d'entamer un nouveau round de décentralisation remet, en revanche, au goût du jour l'éternelle idée d'un «meilleur ancrage territorial» de la future équipe. Les édiles Macron-compatibles se poussent du col. On roucoule du côté du Sénat, cette Chambre des territoires. «La crise des gilets jaunes a mis en exergue cet entre-soi de réformateurs parisiens, explique un proche d'Emmanuel Macron. Je ne vois pas la vertu d'un nouveau monde qui se ferait au mépris de l'arborescence du pays.» La macronie a son propre sabir. En termes politiques moins lyriques : exit les technos, par ici les «grands maires». Un classique absolu.