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Hémicycle

Gouvernement : galop d’essai à l’Assemblée pour Castex

Ecartelé entre engagements anciens et «nouveau chemin», le Premier ministre a fait face, à l’Assemblée, à une opposition parlementaire mobilisée lors de sa première séance de questions au gouvernement.
Jean Castex, Marc Fesneau et Jean-Yves Le Drian (premier rang, de gauche à droite), mercredi, à l’Assemblée nationale. (Photo Albert Facelly pour Libération)
publié le 8 juillet 2020 à 19h56

Est-ce à bon droit qu'elle prétend incarner un «nouveau chemin» ? L'équipe de Jean Castex veut convaincre, forte des quelques débutants qu'elle a présentés mercredi à l'Assemblée, dont l'attraction Dupond-Moretti, et d'une nouvelle «méthode» dont elle promet l'imminente illustration. Un curieux climat, presque celui d'un début de quinquennat, a donc parfois entouré la séance des questions au gouvernement, à l'image de cette désarmante ouverture de la nouvelle ministre déléguée à l'Egalité femmes-hommes, Elisabeth Moreno : «Bonjour à tous, à toutes […]. J'ai l'habitude de vous regarder à la télévision. Etre ici avec vous, ça me paraît totalement surnaturel. Vous êtes plus beaux en vrai !»

Mais part-on jamais de rien ? Difficile, pour certains membres de cette équipe, de se soustraire à d'anciennes controverses : le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, et le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, en ont fait l'expérience. Difficile aussi, pour le nouvel exécutif, d'incarner cette nouvelle voie, quand il hérite du précédent certains visages et beaucoup de chantiers. Et se voit, comme Edouard Philippe en 2017, suspendu à la prochaine prise de parole du chef de l'Etat, prévue pour le mardi 14 juillet.

Vociférations

«Macron un jour, Macron toujours : voici votre seul mot d'ordre, vous qui acceptez de ne rien dire de votre politique générale avant que le monarque de l'Elysée n'ait daigné parler», l'a blâmé la députée de la France insoumise Mathilde Panot. C'est seulement le lendemain, à 15 heures, que Jean Castex devrait prononcer à l'Assemblée son discours de politique générale.

Mercredi, dans l'hémicycle, celui-ci a fait l'article de son «gouvernement de combat, de dialogue et des territoires», face «à une crise sanitaire d'une ampleur exceptionnelle» et «une crise économique et sociale qui s'annonce sans doute comme la plus difficile […] depuis 1929». Il a professé son «grand respect pour le Parlement». Dans l'hémicycle, tous ne le lui ont pas rendu. «Allez !», «C'est mou !» l'ont aiguillonné des membres de l'opposition, au fil d'un propos dont le Premier ministre a bien détaché, et parfois répété, les termes. «Avec Castex, les arbres poussent entre les mots. Quel ennui», s'est plaint sur Twitter le patron des députés LFI, Jean-Luc Mélenchon.

Elisabeth Moreno, nouvelle ministre déléguée à l’Egalité femmes-hommes et à la Diversité.

Photo Albert Facelly pour Libération

En début d'après-midi devant le Sénat, entre «nouveau chemin» et vieux engagements du chef de l'Etat, Castex a évoqué l'adaptation de certaines réformes à venir au «nouveau contexte», mais prévenu : «Rien ne serait pire que de faire face à la crise en retournant à une forme d'immobilisme». Refuser de réformer les retraites, notamment, lui apparaît «irresponsable».

Particulièrement attendu par l'Assemblée, le nouveau garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, a paru décontenancé par les vociférations de l'hémicycle. «Est-ce qu'on décompte les interruptions ?» a-t-il demandé au président de l'Assemblée, Richard Ferrand. «Non, on souffre en silence», lui a-t-il répondu. L'ex-avocat devait se défendre de propos tenus «il y a une dizaine ou une quinzaine d'années», selon son souvenir. Deux, en réalité : sur LCI, il jugeait alors «sotte, totalement saugrenue, incongrue, invraisemblable» l'idée d'entrer au gouvernement : «Il faut en avaler des couleuvres, pour faire de la politique. D'abord, il faut être d'accord avec tous les copains du gouvernement […], il faut manger son chapeau de temps en temps.» Propos reniés mercredi : «Quand on est avocat pénaliste, libre, on n'a pas la même parole que quand on représente l'Etat […]. On ne juge pas des hommes sur des a priori, vous me jugerez sur ce que j'ai fait quand je l'aurai fait […]. Au café du Commerce, je ne porte pas de cravate, à l'Assemblée, j'en mets une !»

Le nouveau garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti.

Photo Albert Facelly pour Libération

Celui qui travaille, depuis son arrivée, à démentir son image clivante, a lancé aux députés, comme plus tard aux sénateurs : «J'ai besoin de vous ! Rien n'est plus important que le contradictoire, qu'il s'agisse d'une décision politique ou de justice.»

Quant au nouvel homme fort du gouvernement, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, il a qualifié, devant le Sénat, «l'islam politique» de «danger mortel pour la République». Lui opposant une «assimilation» qu'il a illustrée par son histoire familiale : «Mon grand-père priait Allah et portait l'uniforme de la République […]. Mon premier prénom est Gérald, mon deuxième prénom est Moussa.»

Inquiétude

En début de journée, Jean Castex avait sur RMC défendu ces deux figures du gouvernement. La nomination d'Eric Dupond-Moretti a suscité l'inquiétude de certains magistrats. «C'est le président de la République qui a eu l'idée, je l'ai reçu et j'ai fait cette proposition parce que c'est un homme qui m'est apparu formidable», a expliqué le chef du gouvernement. Les deux hommes devaient s'afficher ensemble, mercredi soir, au tribunal judiciaire de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Au sujet de Gérald Darmanin, visé par une enquête pour viol, Jean Castex «assume totalement cette nomination : il a le droit comme tout le monde à la présomption d'innocence». Le maire de Tourcoing n'aurait d'ailleurs pas été nommé si, «en [s]on âme et conscience, ayant regardé le sujet, [il] avai[t] eu le moindre doute, la moindre interrogation».

Avant que le Premier ministre ne s'envole dimanche pour la Guyane, particulièrement touchée par l'épidémie de Covid-19, il réunira samedi son gouvernement pour un premier séminaire de travail. L'équipe ne sera cependant complétée que la semaine prochaine, par la nomination des secrétaires d'Etat. Elle pourrait en outre se voir adjoindre un Haut-Commissariat au plan : c'est Emmanuel Macron qui en fera l'annonce le 14 juillet, selon le Canard Enchaîné. Sans le confirmer, Castex s'est déclaré favorable à une telle initiative, et n'a que mollement démenti la rumeur qui attribue ce poste au patron du Modem, François Bayrou.