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Négociations

Ségur de la santé : une revalorisation de 180 euros net ouvre la voie à un accord

Déconfinementdossier
La CGT, FO, l'Unsa et la CFDT doivent soumettre à leur base un projet d'accord prévoyant une hausse de salaire très inférieure aux revendications, mais à prendre ou à laisser.
Le ministre de la Santé, Olivier Véran, et Nicole Notat, la «madame loyale» du Ségur de la santé, le 26 mai à Paris. (POOL/Photo Martin Bureau. Reuters )
publié le 9 juillet 2020 à 14h56

Epilogue en demi-teinte pour les concertations salariales du Ségur de la santé, volet capital de cette large concertation enclenchée le 25 mai pour «refonder l'hôpital public». Dans la nuit de mercredi à jeudi, à l'issue de quatorze heures de négociations serrées, les syndicats CGT, FO, Unsa et CFDT ont quitté le ministère de la Santé avec en main un projet d'accord sur le volet rémunération des agents hospitaliers et des Ehpad du secteur public, hors médecins. «Morts de fatigue», «déçus», mais avec le sentiment d'avoir été «au bout» de ce qu'ils pouvaient obtenir. Leur espoir de satisfaire à la revendication phare des hospitaliers, soit une hausse de 300 euros net par mois des salaires, a vécu.

C'est une revalorisation de 180 euros net par mois en deux temps (90 euros en septembre, puis 90 en mars) que les représentants syndicaux vont soumettre à leurs instances respectives d'ici à lundi. De quoi permettre à Emmanuel Macron de se prévaloir de ses «promesses tenues» aux hospitaliers dans son allocution du 14 Juillet.

Cet objectif très politique, Jean Castex l'avait bien en tête quand, dimanche, le nouveau Premier ministre a pris en main le dossier Ségur. Or, ce n'était pas gagné. Portés par la colère de leurs troupes et le soutien de l'opinion, les syndicats étaient remontés à bloc, tant il y avait loin entre le geste que le gouvernement se disait prêt à consentir, à savoir un coup de pouce salarial de 165 euros, et les revendications du terrain. Le locataire de Matignon l'a vite compris : impossible de sortir de l'impasse sans une grosse rallonge budgétaire et une bonne mise en scène.

«Geste symbolique fort»

Rembobinons : mardi soir, c'est donc accompagné du Premier ministre que le ministre de la Santé, Olivier Véran, et la «madame Loyale» du Ségur, Nicole Notat, retrouvent les quatre représentants syndicaux. Pour ces derniers, la présence du Premier ministre, ex-haut fonctionnaire du ministère de la Santé et, à ce titre, très au fait des problématiques hospitalières, est un «geste symbolique fort». L'assurance aussi que l'exécutif est prêt à des concessions pour éviter un échec du Ségur. Conformément à leurs attentes, Castex délie les cordons de sa bourse : en quelques secondes, l'enveloppe destinée à améliorer le sort des agents hospitaliers non médicaux passe de 6,4 à 7,5 milliards d'euros. Un pactole difficile à refuser alors que la crise économique et sociale menace, quand bien même il n'est pas encore suffisant pour satisfaire à leur revendication «socle».

Leur soulagement est de courte durée. Sitôt annoncé, le Premier ministre assortit son geste d'exigences qui en annulent presque l'effet : à l'entendre, la rallonge doit aussi financer 7 500 créations de postes au sein des établissements de santé, et aider à pourvoir 7 500 autres postes de paramédicaux (déjà budgétés mais actuellement vacants, faute de candidats) de sorte à soulager les soignants épuisés après deux mois de lutte acharnée contre le Covid-19. En sus, l'enveloppe doit aussi permettre d'abonder un système d'intéressement collectif, rebaptisé pour la circonstance «engagement collectif», et de réviser les grilles indiciaires.

 Une copie initiale largement revue et corrigée

Sans attendre la réponse de ses interlocuteurs, Castex quitte la réunion et loue aussitôt sur Twitter l'effort de l'exécutif. Façon de commencer à retourner une opinion publique acquise à la cause des blouses blanches. Consternation des représentants syndicaux. Sur la forme qui semble couper court à toute discussion, mais plus encore sur le fond : calculette en main, ils comprennent que l'exécutif n'entend lâcher que 5,3 milliards pour augmenter les salaires. «Avec ça, on ne peut pas espérer une augmentation de plus de 165 euros par mois, très loin des 300 euros réclamés depuis bien avant l'épidémie de Covid, et qui correspond seulement au rattrapage de l'inflation sur treize ans», s'emporte alors Didier Birig, secrétaire fédéral du syndicat FO Santé. Unis, les syndicats fixent la «ligne rouge» à 200 euros net. Jusqu'à minuit, ils tentent d'arracher à Véran des marges de manœuvre. En vain. Prenant acte du blocage, le ministre renvoie au lendemain la «réunion conclusive» du pilier rémunération du Ségur. Les négociations vont cette fois durer quatorze heures…

Quand les deux parties se séparent jeudi à 2 heures du matin, l'enveloppe concédée par l'exécutif n'a pas bougé, mais sa copie initiale a été largement revue et corrigée. «On a obtenu des modifications significatives dans la répartition des 7,5 milliards», estime Didier Birig. Les sommes allouées à l'intéressement collectif sont révisées à la baisse et le geste souhaité par le gouvernement en faveur des paramédicaux du privé et du privé non lucratif, contenu dans une enveloppe de 1,6 milliard (soit une hausse de 160 à 170 euros net mensuels). De quoi libérer suffisamment de marges pour porter à 180 euros net mensuels le coup de pouce salarial au personnel non médical des hôpitaux et des Ehpad du secteur public.

«Plus d’un million d’agents» concernés

«Il y a dans le protocole des avancées importantes, notamment sur l'accélération des carrières dans les filières de soins médicaux techniques et de rééducation, poursuit le syndicaliste de FO. Plus d'un million d'agents vont profiter d'une révision indiciaire ou indemnitaire, ce n'est pas rien. Dans une négociation, on est obligé de faire des concessions.» Même son de cloche à la CFDT qui parle de «bon accord». Côté CGT, le ton est plus mitigé : «C'est assez décevant puisqu'on n'a même pas obtenu 200 euros de hausse de salaire, regrette Mireille Stivala, secrétaire générale de la CGT Santé. On a aussi des inquiétudes sur leur volonté de mettre en place des accords locaux par établissements sur le temps de travail.»

L'atmosphère générale est toutefois à l'apaisement. Conscients de la dégradation rapide de l'environnement économique et social, les représentants syndicaux se gardent d'attiser les braises de la colère. D'autant qu'après la carotte, l'exécutif les a menacés du bâton. «Si on refuse l'accord, le ministre nous a dit qu'on reviendrait à l'enveloppe initiale de 6 milliards», s'étrangle Mireille Stivala, de la CGT Santé. De quoi augurer qu'Emmanuel Macron pourra se targuer mardi prochain d'avoir arraché un «accord majoritaire» aux hospitaliers.