A Stains, depuis la fin juin, les commerçants de la place du Colonel-Fabien ont vu défiler du monde devant leurs échoppes. Manifestants contre les violences policières, journalistes, curieux… Même l'alors ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a évoqué le sujet devant l'Assemblée nationale. En cause, un discret pan de mur à l'angle de la place peint en hommage à George Floyd et Adama Traoré, deux hommes noirs morts après leur interpellation. L'œuvre a été commandée à un collectif d'artistes à la demande du maire PCF, Azzeddine Taïbi. L'inscription qui figure sur la fresque, «contre le racisme et les violences policières», a été jugée «provocatrice» et «stigmatisante» par le syndicat de police Alliance. Début juillet, après avoir reçu les porte-parole de l'organisation, le préfet de Seine-Saint-Denis a mis en demeure le maire de Stains de faire retirer la mention «policières».
Au Point information jeunesse (PIJ) de la ville, les jeunes se rassemblent pour parler de leurs résultats du bac et préparer leurs vacances d'été. Tous ont vu la vidéo de la mort de George Floyd, Afro-américain asphyxié sous le genou d'un policier en mai à Minneapolis.
J’ai été choqué par la fresque réalisée à Stains car elle met en cause l’honneur de femmes et d’hommes qui ont fait le choix de consacrer leur vie à la protection de leurs concitoyens.
— Christophe Castaner (@CCastaner) June 23, 2020
Les élus de la République doivent être à la hauteur de l’engagement des forces de l’ordre. pic.twitter.com/PVNMEqXjVd
«C'est le mec qui se fait tuer dans la vidéo», se souviennent-ils. Eux-mêmes sont plusieurs à témoigner des violences qu'ils disent avoir subies de la part de policiers. «Dass'», 18 ans, montre toute une rangée de dents enfoncées dans sa bouche. Il raconte avoir été frappé par la police à la suite de son interpellation, il y a quelques mois : «J'étais à Saint-Denis, il y avait une embrouille dans la cité. Quand ils m'ont attrapé, ils m'ont insulté et frappé», affirme le jeune homme avant d'ajouter qu'une fois au commissariat, les agents ont cassé son téléphone. «Il sonnait, alors je l'ai sorti de ma poche. Un policier a mis un coup de pied dedans.»
Même son de cloche du côté de son ami qui se fait prénommer Solo. Il raconte qu'il y a quelques semaines, il s'est fait emmener au commissariat dans le cadre d'un vol qui avait eu lieu dans son quartier. «Quand on leur a dit qu'on n'avait rien fait, ils nous ont mis des coups de pression. L'un d'eux m'a dit : "Je vais te briser la nuque". Ils nous provoquent pour qu'on réponde.» Quatre heures après leur arrivée au commissariat, Solo et son ami ont été innocentés par la victime. Ils en sont ressortis libres. Une professionnelle qui travaille avec eux explique que le sujet est souvent abordé avec les jeunes. «Eux, les violences policières, c'est leur quotidien. Un jour on les voit ils ont une bonne tête, le lendemain ils reviennent amochés.»
«Nous, on veut juste la paix»
Contrairement au syndicat Alliance, à l'ancien ministre de l'Intérieur et au préfet de Seine-Saint-Denis, les habitants qu'on sonde à la volée approuvent, eux, le message de la fresque. Patrick, 18 ans, y voit un bel hommage rendu aux victimes. «C'est la bonne expression. Des gens meurent à cause de la police, il faut le dire.» L'attaque qu'a subie l'œuvre dans la nuit du 3 au 4 juillet l'a particulièrement touché. «Extorsion», «vol», «stop aux Traoré» et «braqueur de femmes enceintes» ont été tagués sur la peinture. Patrick : «Il y a des gens qui pensent qu'on veut attiser la haine. Nous, on veut juste la paix.»
Bozo, le patron du kebab situé à quelques mètres du mur de la discorde, n'a pas la même expérience avec les policiers. A 40 ans, l'homme affirme ne jamais avoir subi de contrôle violent ou d'insultes de leur part, certains font même partie de ses bons clients. S'il reconnaît la gravité du comportement de certains agents, il aimerait voir plus de policiers dans les rues. «L'autre soir, à 2 heures du matin, un monsieur de 60 ans s'est fait agresser juste là. Il est resté une semaine dans le coma», pointe-t-il. «On a des problèmes de trafic chez nous», ajoute le restaurateur voisin. La polémique sur la fresque ? Lui craignait surtout les manifestations et contre-manifestations qui auraient pu l'empêcher de travailler. Il ajoute : «Au lieu de peindre un mur, la mairie pourrait aider les gens qui dorment dans les caves à trouver un logement.»
Un débat à venir
Depuis les trois semaines que dure l'affaire de la fresque, le maire assume. Malgré la mise en demeure du préfet au nom de la neutralité des bâtiments publics, il se montre prêt à affronter la cour d'un tribunal administratif si nécessaire. Dans le dernier numéro du magazine de la commune, il invite Gérald Darmanin, nouveau ministre de l'Intérieur, à débattre sur la question des violences policières. «L'art dans la rue est une forme d'engagement et de combat non violent», estime-t-il dans Stains Actu. Le maire de la ville de 40 000 habitants s'était déjà retrouvé au cœur de plusieurs polémiques semblables. Il s'était confronté à la préfecture de Seine-Saint-Denis en 2016 et en 2018 après l'affichage de banderoles en soutien à des leaders palestiniens sur le fronton de la mairie.
«Mimi» approuve l'initiative du maire. Grosse chaîne, grosses lunettes et grosses bagues plaquées or, le quadragénaire photographie sa fille devant les visages d'Adama Traoré et George Floyd. «Les erreurs policières, ça arrive souvent. Ça pourrait arriver à mes enfants. C'est en faisant des belles choses comme la fresque que ça peut changer.» Amateur de sports de combat, il est frappé par l'utilisation fréquente du plaquage ventral par la police, technique d'interpellation mise en cause dans la mort de George Floyd et Adama Traoré. Il raconte l'avoir subie, une fois. «J'ai été interpellé pour un contrôle routier, ils se sont mis à plusieurs sur moi, ont été violents alors que je m'étais arrêté et que je ne résistais pas. Quand ils m'ont emmené au commissariat, qu'ils ont vu que je savais parler et que mon avocat était là, ils ont pris conscience de leurs torts et m'ont relâché.» Le Stanois tient malgré tout à insister sur le rôle de la police et de certains agents «cool qui savent parler aux jeunes». «En tant que coach sportif, je fais un peu le médiateur avec eux, et ça peut marcher», ajoute-t-il. Mamadou parle, lui aussi ,du besoin d'une police exemplaire. Choqué par les violences et intéressé par les récents débats sur la question, il s'est rendu à quelques manifestations organisées par le Collectif pour Adama. «Ils sont là pour nous protéger mais on sait très bien qu'il y a des différences de traitement», lâche-t-il en haussant les épaules.