Cette année, le 14 Juillet ressemble à de la rubalise rouge et blanche. Pour le bleu, il y a les cordons de CRS qui bloquent l’accès à la place de la Concorde. Peu avant 9 heures ce mardi matin, devant l’église de la Madeleine, quelques rares invités à la cérémonie se pressent déjà vers les points d’accès, le précieux laissez-passer serré dans la main. D’autres se font refouler sans négociation possible. Une famille aborde les cerbères en faction à l’entrée de la rue Royale, qui mène aux tribunes. Papa en blaser, maman en robe verte et trois petites têtes blondes qui suivent derrière, la chemise à carreaux rentrée dans le bermuda couleur garance.
Refusés à l'entrée, ils repartent en panique vers une autre entrée correspondant à la couleur de leur autorisation. Rouge, bleue ou orange. Ils croisent Fernande, toute de blanc vêtue dans sa tenue d'aide-soignante. Elle arrive de l'hôpital Saint-Joseph, dans le XIVe, où elle était de garde la nuit dernière. Troisième tentative pour entrer dans le saint des saints, troisième échec. «Je ne comprends pas, Macron a dit que les soignants étaient invités alors je suis venue, maugrée-t-elle. Je n'ai pas dormi encore et je reprends le travail ce soir – le temps de rentrer chez moi, à Ivry, tout sera fini.» Elle se marre de la situation : «Allez, on va rentrer se coucher.» Pour traverser la Seine et espérer un meilleur point de vue sur la place de la Concorde, il faut passer par la cour du Louvre, déserte. La Pyramide est toute seule, dans un silence à peu près total, troublé par le son d'un hélicoptère, au loin. Le défilé militaire a été remplacé par une cérémonie sur la place de la Concorde. Exit les milliers de spectateurs des années précédentes.
«Vous savez, nous, sortis des chevaux…»
Dans les alentours, personne ne porte de masques. Quelques curieux s'amassent sur le pont de Solférino, à une grosse centaine de mètres de la cérémonie qui n'a pas encore commencé. Christophe (1) et Nathalie sont contents, ils ont vu passer les hommes de la Garde républicaine sur leurs chevaux. Le matin, ils ont assisté à leur sortie de caserne, aux Célestins – «Pardon, de leurs quartiers, corrige Christophe, la caserne c'est pour les fantassins, pas la cavalerie.» Sont-ils venus voir les soignants ? «Vous savez, nous, sortis des chevaux…», admet Nathalie. Ils sont venus de Vendée, avaient réservé leur hôtel avant le confinement. «Décidément, on n'a pas de chance, la dernière fois qu'on est venus au défilé, il pleuvait à torrent», s'amusent-ils. Qu'importe, avec les chevaux et la patrouille de France, ils s'estimeront contents.
Plus loin, boulevard Saint-Germain, Gérard et son fils le prennent avec moins de légèreté. Appuyé sur sa canne, le Mulhousien se désole de rater ainsi son premier défilé – il a l'âge d'en avoir vu une bonne cinquantaine. «On est Alsaciens, on aurait aimé regarder la cérémonie quand même», lâche-t-il, amer. Ils ont quand même vu passer la délégation allemande, mise à l'honneur pour ce 14 Juillet avec l'Autriche, la Suisse et le Luxembourg, trois pays qui ont accueilli des patients français au plus fort de la crise. Mais ni Gérard ni son fils ne savaient qui étaient les officiels allemands.
Huer Macron
Sur l'esplanade des Invalides, quelques dizaines de badauds attendent, assis dans l'herbe, qu'il se passe quelque chose. Un couple de touristes allemands sourit, l'air penaud. Lui moustache, coupe mulet et short, elle appareil photo autour du cou et coup de soleil sur la nuque. Ils ne savaient pas que l'accès était interdit. «C'est dommage, quand même, pour vous les Français, compatissent-ils dans un français hésitant, c'est quand même votre fête nationale.»
Plus loin, deux hommes et une femme trompent l'attente en discutant patrouille de France. Même s'ils ne sont pas venus pour ça. «On est gilets jaunes, explique David (1). On a vu des Live Facebook sur les Champs-Elysées, on espérait faire comme l'année dernière – huer Macron.» Les soignants invités à la cérémonie ? «Des figurants, c'est une mascarade», rejettent-ils. Ils comptent bien le faire savoir à la manif organisée ce mardi après-midi place de la République. Après l'hommage de la nation et l'intervention présidentielle.
(1) Ce prénom a été changé.