C'est un dispositif loin d'être nouveau, et dont le déploiement à l'ensemble des forces de l'ordre fait figure de vieux serpent de mer. «Nous allons généraliser avant la fin du quinquennat toutes les caméras-piétons», a annoncé Emmanuel Macron, mardi, lors de son interview télévisée du 14 juillet. Et ce, «dans chaque brigade qui intervient». L'objectif affiché par le chef de l'Etat ? «Rétablir la confiance entre la population et la police», notamment au regard des contrôles au faciès qui peuvent, selon lui, alimenter une «défiance démocratique». En 2016, l'Etat français avait été condamné par la Cour de cassation pour «faute lourde» pour cette pratique, dont «la dimension discriminatoire» une nouvelle fois épinglée par le Défenseur des droits dans son dernier rapport d'activité, ne peut avoir «qu'un impact négatif sur la perception qu'a la population des forces de l'ordre», selon Jacques Toubon.
Ces caméras mobiles devront donc permettre de «retracer la vérité des faits qui permettent de protéger, de rétablir [la] confiance», a fait valoir le président. Rien de nouveau néanmoins, puisque son ex-ministre de l'Intérieur Christophe Castaner avait déjà annoncé le mois dernier, en pleine crise sur la question du racisme et des violences policières, la volonté d'accélérer et de renforcer le recours à ce dispositif. Sans toutefois fixer de calendrier. Il faut dire que depuis sa naissance en 2009, sous l'impulsion du ministre de l'époque, Brice Hortefeux, chaque locataire de Beauvau annonce, peu ou prou, la généralisation de cet outil largement plébiscité par les policiers et gendarmes.
Déclenchement volontaire
Fixé sur l'uniforme au niveau du torse ou de l'épaule, ce petit boîtier doit permettre d'enregistrer le son et l'image d'une intervention de la police nationale ou la gendarmerie. La mini-caméra doit être portée «de façon apparente» et son déclenchement doit faire, autant que possible, «l'objet d'une information des personnes filmées», précise la loi du 3 juin 2016. Avec, entre autres, une priorité claire : «La prévention des incidents au cours des interventions.»
Une consigne rappelée par la Direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP) dans une note du 9 novembre 2018 que Libération a consulté : ce dispositif «s'inscrit dans une démarche de rapprochement entre les forces de sécurité de l'Etat et la population» et «contribue à la prévention des atteintes contre les forces de sécurité intérieure tout en garantissant le respect des règles déontologiques». Il est aussi rappelé que l'enregistrement est déclenché «à l'appréciation de l'utilisateur», auquel cas la caméra mémorise les trente secondes qui précèdent.
«Cela fait longtemps qu'on demande cette généralisation. Quand on est attaqué par l'image, il faut se défendre par l'image», réagit auprès de Libé David Le Bars, secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN). Mais c'est sur l'aspect technique que le bât blesse, poursuit-il : «Le matériel acheté par le ministère est totalement inefficace. Aujourd'hui, la caméra est tellement bas de gamme qu'il faudrait partir avec quatre batteries pour tenir une vacation entière… Il faut un budget conséquent pour acheter du matériel de bon niveau.»
En janvier dernier, le Canard enchaîné révélait que les quelque 10 400 caméras déjà distribuées, pour un coût de plus de 2 millions d'euros, étaient tout simplement inexploitables. Contacté par Libération, un officier parisien abonde : «Les fixations sont pourries, l'autonomie ridicule, le paramétrage ultracompliqué à chaque mise sous tension… Du coup, on porte une caméra qui ne fonctionne pas la plupart du temps et ensuite on nous demande : "Pourquoi ne l'avez-vous pas déclenchée ?"» Comme beaucoup de collègues, cet agent a fini par faire fi du règlement et s'acheter sa propre caméra embarquée, «un modèle plus costaud à 200-300 euros».
«Guerre des images»
Autre frein de l'avis des syndicats policiers : l'utilisation des enregistrements. Aujourd'hui, les images et les sons captés sont conservés six mois avant d'être détruits et ne peuvent servir que dans le cadre d'une formation ou «d'une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire». Le policier ou le gendarme ayant filmé ne peut pas y accéder. Un cadre jugé trop restrictif par les forces de l'ordre, qui voudraient le voir évoluer. «On souhaiterait que le fonctionnaire puisse visualiser librement les images filmées par cette caméra administrative, voire les communiquer dans un cadre réglementé dès qu'on est mis en accusation, car de l'autre côté les gens filment avec leur smartphone et diffusent sur les réseaux sociaux, défend Thierry Clair, secrétaire national de l'Unsa police. La guerre des images est toujours perdue pour nous.»
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Surtout, ceux qui plaident pour la caméra mobile voient en elle un moyen d'apaiser les relations et de faire baisser les tensions entre la police et les citoyens. Mais n'est-ce pas une illusion si c'est le fonctionnaire, et lui seul, qui garde la main sur le moment de l'enregistrement ? Pour l'avocat Slim Ben Achour, représentant de nombreuses victimes de contrôles au faciès, cette «utilisation unilatérale pose un énorme risque». In fine, «la caméra-piéton ne permet pas de traduire les raisons des contrôles et des interactions, puisque seul le policier juge de l'opportunité de la déclencher».
Dans une enquête publiée en 2017, Mediapart soulignait d'ailleurs que le recours aux caméras-piétons semblait «fonctionner à sens unique : pour étayer les dires des agents». Notamment dans le cadre de procédures pour outrage et rébellion. Ainsi, l'annonce présidentielle n'est qu'une «mesurette», estime Me Ben Achour auprès de Libé : «Manuel Valls l'avait déjà présentée pour répondre à l'abandon de la demande de récépissé de contrôle d'identité. Une étude réalisée aux Etats-Unis, il y a deux ans et demi, montre que l'usage de ces caméras n'est pas concluant. La vraie question aujourd'hui, c'est : à quoi sert la police ? Il est urgent qu'elle redevienne un vrai service public au service des personnes.»