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Libération
Fugue

Carlos Ghosn veut une justice sur mesure et à domicile

Installé à Beyrouth depuis qu'il a faussé compagnie à la justice nippone, l'ancien PDG de Renault-Nissan n'entend pas non plus répondre aux convocations de la justice française.
Carlos Ghosn lors de sa conférence de presse à Beyrouth, le 8 janvier. (Maya Alleruzzo/Photo Maya Alleruzzo. AP)
publié le 20 juillet 2020 à 18h49

Jouer à domicile. Pour Carlos Ghosn, poursuivi à la fois par les justices française et japonaise, la stratégie ne varie pas. Depuis que l'ancien PDG de Renault-Nissan soupçonné d'abus de bien sociaux et de détournement de fonds s'est fait la malle de Tokyo, Beyrouth constitue à la fois sa résidence et son refuge. Rien ne peut le faire sortir du Liban, dont il est citoyen, d'autant plus qu'il est officiellement placé sous contrôle judiciaire par la justice du pays. Son passeport libanais a d'ailleurs été saisi, ce qui est bien pratique pour plaider «l'obstacle technique» l'empêchant de répondre à la convocation pour audition de la justice française. «Mes avocats discutaient avec le juge d'instruction des conditions de cette audition depuis des semaines. Il y a un obstacle technique. Mon passeport est entre les mains du procureur général au Liban, car le Japon a émis un mandat d'arrêt international me concernant. Je souhaite aussi avoir la certitude que ma sécurité est assurée et que l'on me garantit une liberté de circulation», a expliqué Carlos Ghosn dans une interview au Parisien ce lundi.

Enrichissement personnel

Pendant ce temps-là, au tribunal de grande instance de Nanterre (Hauts-de-Seine), le juge d’instruction Serge Tournaire, accompagné de deux magistrats poursuit son enquête sur les montages financiers qui auraient permis à Carlos Ghosn de s’enrichir illégalement. Les sommes litigieuses – on parle de plusieurs millions d'euros – auraient notamment été versées par Renault-Nissan au représentant local de la marque au sultanat d’Oman, avant de bénéficier à la famille de l’ex-PDG, selon l'accusation.

Au début du mois de juillet, à la demande du juge Tournaire, les policiers de l'office central de lutte contre les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) ont donc programmé une série d'auditions. Le défilé de protagonistes a commencé, selon les informations obtenues par Libération, avec l'audition d'un cadre de la direction financière de Renault et d'un proche collaborateur de Carlos Ghosn qui depuis a quitté l'entreprise. Deux représentants du constructeur automobile au sultanat d'Oman étaient également attendus par les policiers, mais ils n'ont pas répondu à la convocation. Pas plus que Carlos Ghosn, qui a donc justifié son refus de venir en France par le fait que sa sécurité n'était  pas assurée pour un tel déplacement. «Personne ne peut m'assurer que le voyage sera sans interruption, sans accident», a déclaré le fugitif au Parisien. Ghosn craint manifestement d'être appréhendé au cours d'une escale «imprévue» : si l'avion qui effectue la liaison entre Beyrouth et Paris devait faire un arrêt technique à Rome ou Athènes, il pourrait en effet tomber sous le coup du mandat d'arrêt international lancé par la justice japonaise et être extradé…

Avion militaire 

Même s’il a soigneusement été mis en scène, le refus de l’ex-patron de Renault de répondre à cette convocation était connu de longue date. Ses avocats français ont en effet, dès le début, indiqué au juge Tournaire que leur client ne se rendrait pas en France. Il semble même que l’affètement d’un avion militaire ait été un temps envisagé pour l’acheminer à Paris. Ce que la justice dément. Hasard ou coïncidence, l’interview de Carlos Ghosn qui ne ménage pas la stratégie et les performances actuelles de Renault, sort le jour où la firme au losange publie ses résultats commerciaux semestriels, qui sont loin d’être mirobolants, en raison de la crise sanitaire.

Si Carlos Ghosn ne se rend à la justice française, alors, la justice française viendra peut-être à lui. «Le juge pourrait par exemple me faire interroger à Beyrouth où je suis prêt à répondre à toutes ses questions», dit-il. «C'est au juge d'instruction de chercher une solution», précise à Libération Jean-Yves Le Borgne, l'un des avocats français de Carlos Ghosn. En d'autres termes, ce serait donc aux magistrats français d'effectuer un aller-retour Paris-Beyrouth afin d'aller interroger Carlos Ghosn. Seul hic, cette procédure dite de l'entraide judiciaire prend habituellement du temps. Et, peut être plus encore dans un Etat en pleine crise institutionnelle et financière comme le Liban actuellement.

D’ici là, Carlos Ghosn aura tout loisir de se préparer à cette audition, suivie éventuellement d’une mise en examen. Ses avocats français doivent d’ailleurs se rendre très prochainement à Beyrouth pour des entretiens destinés à le préparer à toutes les questions qui pourraient lui être posées. Une veillée d’armes avant la confrontation, dont la date est encore bien incertaine.