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A Roubaix, les salariés de Camaïeu pas prêts à «partir avec un coup de pied au cul»

Depuis lundi, les salariés se relaient devant le siège de la marque, à Roubaix. Un dernier baroud avant l'audience devant le tribunal de commerce de Lille qui étudie vendredi les offres de reprise de l’enseigne de prêt-à-porter féminin.
Piquet de grève devant le siège de Camaïeu, à Roubaix jeudi. (Aimee THIRION/Photo Aimée Thirion)
publié le 23 juillet 2020 à 17h20

Camaïeu, «j'y suis rentré, j'avais 22 ans, se souvient Christophe, salarié à l'entrepôt. J'ai 51 ans. Se faire virer du jour au lendemain, je ne comprends pas. J'ai toujours donné, donné, donné pour l'entreprise». Il soupire en regardant le feu de pneus qui brûle à l'entrée du siège roubaisien. Quel avenir pour les 3 900 salariés de l'enseigne de prêt-à-porter féminin ? Le tribunal de commerce de Lille étudie vendredi matin, à huis clos, sept offres de reprise de l'entreprise placée en redressement judiciaire fin mai. Dès lundi, des salariés ont installé un piquet de grève devant le siège, histoire de se faire entendre avant l'audience. Agrafes retirées, papier froissé, feuilles mal classées : deux offres ont été particulièrement consultées cette semaine au tribunal de commerce de Lille pour la reprise de la marque, née à Roubaix en 1984.

«J’ai les cervicales amochées à vie»

Il y a celle de la Financière immobilière bordelaise (FIB), détenue par Michel Ohayon, qui propose de maintenir le plus d’emplois et de boutiques ouvertes. L’homme d’affaires s’engage à conserver environ 2 600 postes et 500 magasins, soit plus de 80% des boutiques Camaïeu en France. Après avoir fait fortune dans l’immobilier, puis dans l’hôtellerie et la vigne, le Bordelais veut peser plus lourd dans la distribution après avoir repris 22 grands magasins Galeries Lafayette en 2018 et injecté de l’argent dans le capital de la Grande Récré, alors en difficulté. L’autre offre la plus complète est une proposition conjointe déposée par l’actuel management de l’entreprise, dont le président de Camaïeu international Joannes Soënen, avec l’enseigne de mode féminine Grain de malice et le groupe logistique Log’s. Ils proposent le maintien direct de 2 299 contrats de travail, des propositions d’emplois pour 217 postes supplémentaires et la reprise de 403 points de vente en France. Peu après son arrivée à la direction en août 2019, Joannes Soënen présentait un plan de redressement pour sauver la marque, confrontée comme tout le secteur de l’habillement à une crise structurelle.

Piquet de grève devant le siège de Camaïeu, à Roubaix jeudi.

Photo Aimée Thirion pour Libération

Depuis au moins dix ans, les ventes reculent selon l'Institut français de la mode. Délicat pour une enseigne comme Camaïeu, dont la stratégie commerciale repose principalement sur un grand réseau de magasins, souvent implantés dans les centres-villes où les loyers, eux, ne cessent d'augmenter. Les deux mois de fermeture des boutiques durant le confinement ont aggravé les difficultés économiques de l'entreprise qui affichait déjà un chiffre d'affaires en recul de 570 millions d'euros avant la crise sanitaire, la conduisant au redressement judiciaire. «Nous sommes une entreprise rentable en cessation de paiements. Et là, on va peut-être permettre à ceux qui nous ont mis en difficulté de refaire une dette ? Mon impression, c'est qu'ils ont voulu arriver au plan de sauvegarde de l'emploi pour pouvoir licencier et restructurer», analyse Eric, 49 ans. Il est certain que ses douze années d'ancienneté «ne pèseront pas lourd» dans la balance : sa femme travaille et il n'a plus qu'un seul enfant à charge, il s'attend donc à recevoir une lettre de licenciement dans quelques semaines. «Moi, j'ai des cervicales amochées à vie. J'ai failli perdre un œil à cause d'un défaut de sécurité sur une machine. On leur a donné des idées pour faire des économies… fulmine Cindy, 36 ans. Et maintenant, certains vont partir avec un coup de pied au cul et on va devoir dire merci.»

«Il faudra tout reconstruire»

Deux ambulanciers déclenchent leur sirène en soutien aux grévistes installés à l'entrée du siège, la conductrice d'une citadine lâche un long coup de klaxon suivi par un chauffeur poids lourd encore plus bruyant. «Pour nous, les plus âgés, ce sera compliqué de retrouver un travail et pour les plus jeunes, il faudra tout reconstruire, s'inquiète Louisa, 55 ans, dont la moitié passée chez Camaïeu. Aujourd'hui, Louisa met des vêtements sur cintre et leur adjoint des étiquettes avant qu'ils ne partent dans les magasins, où il n'y a «plus qu'à ouvrir les cartons et mettre les articles en rayon».

Dans les boutiques du centre-ville de Lille, la deuxième semaine des soldes attire quelques clientes. «On continue notre travail mais c'est normal de montrer que nous ne sommes pas d'accord avec ce qu'il se passe», glisse une vendeuse derrière son masque. Certaines ont détourné l'imprimé d'un t-shirt de la marque pour y inscrire : «Save my job.» L'accès aux cabines d'essayage est fermé et des affiches alertent partout du sort de ces vendeuses aux petits salaires et aux nombreux contrats à temps partiel. «On ne pourra pas même pas aller travailler dans une autre boutique, poursuit la jeune femme. Quand les magasins vont fermer, c'est sûr on va juste se faire licencier.»