Camaïeu, «j'y suis rentré, j'avais 22 ans», se souvient Christophe, salarié à l'entrepôt. «J'ai 51 ans. Se faire virer du jour au lendemain, je ne comprends pas. J'ai toujours donné, donné, donné pour l'entreprise.» Il soupire en regardant le feu de pneus qui brûle à l'entrée du siège roubaisien. Quel avenir pour les 3 900 salariés de l'enseigne de prêt-à-porter féminin ? Le tribunal de commerce de Lille étudie ce vendredi, à huis clos, sept offres de reprise de l'entreprise placée en redressement judiciaire fin mai. Dès lundi, des salariés ont installé un piquet de grève devant le siège.
Deux offres pour la reprise de la marque, née à Roubaix en 1984, ont été particulièrement consultées cette semaine. Il y a celle de la Financière immobilière bordelaise, détenue par Michel Ohayon, qui propose de maintenir le plus d’emplois et de boutiques ouvertes. L’homme d’affaires s’engage à conserver environ 2 700 postes et 511 magasins, soit plus de 80 % des magasins en France. L’autre offre est une proposition conjointe déposée par l’actuel management de l’entreprise, dont le président de Camaïeu International, Joannes Soënen, avec l’enseigne de mode féminine Grain de malice et le groupe logistique Log’S. Ils proposent le maintien direct de quelque 2 300 contrats de travail, des propositions d’emplois pour 217 postes supplémentaires et la reprise de 403 points de vente en France. Peu après son arrivée à la direction en août, Soënen présentait un plan de redressement pour sauver la marque, confrontée comme tout le secteur à une crise structurelle.
Depuis au moins dix ans, les ventes reculent, selon l'Institut français de la mode. Délicat pour l'enseigne dont la stratégie repose sur un grand réseau de magasins, souvent implantés dans les centres-villes où les loyers, eux, ne cessent d'augmenter. Les deux mois de fermeture durant le confinement ont aggravé les difficultés économiques de l'entreprise, qui affichait déjà un chiffre d'affaires en recul de 570 millions d'euros, la conduisant au redressement judiciaire. «Nous sommes une entreprise rentable en cessation de paiements. Et là, on va peut-être permettre à ceux qui nous ont mis en difficulté de refaire une dette ? Mon impression, c'est qu'ils ont voulu arriver au plan de sauvegarde de l'emploi pour pouvoir licencier et restructurer», analyse Eric, 49 ans et douze années d'ancienneté. «Moi, j'ai des cervicales amochées à vie. J'ai failli perdre un œil à cause d'un défaut de sécurité sur une machine. On leur a donné des idées pour faire des économies… fulmine Cindy, 36 ans. Et maintenant, certains vont partir avec un coup de pied au cul et on va devoir dire merci.»
Dans les boutiques du centre-ville de Lille, les soldes attirent quelques clientes. «On continue notre travail, mais c'est normal de montrer que nous ne sommes pas d'accord», glisse une vendeuse. Certaines ont détourné l'imprimé d'un tee-shirt pour y inscrire «Save my job», et des affiches alertent du sort de ces vendeuses aux petits salaires et aux nombreux contrats à temps partiel.